Vingt ans après l’émergence de preuves indiquant que les forces américaines ont maltraité des détenus à la prison d’Abou Ghraib et dans d’autres centres de détention qu’elles géraient en Irak, le gouvernement des États-Unis n’a apparemment toujours pas fourni d’indemnisation ou une autre forme de réparation aux Irakiens y ayant subi des tortures et d’autres abus, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Après leur invasion de l’Irak en 2003, les États-Unis et les alliés de leur coalition ont détenu environ 100 000 Irakiens entre 2003 et 2009. Human Rights Watch et d’autres organisations ont documenté la torture et les autres mauvais traitements infligés par les forces américaines en Irak. Cela fait des années que des survivants des abus se manifestent pour livrer leur récit de la façon dont on les a traités, mais ils ont reçu peu de reconnaissance et aucune réparation de la part du gouvernement des États-Unis. L’interdiction de la torture est absolue dans le droit national des États-Unis, les Conventions de Genève de 1949, la Convention contre la torture des Nations Unies ainsi que le droit international coutumier.
« Vingt ans après, les Irakiens qui ont été torturés par des agents des États-Unis n’ont toujours aucun moyen clair de porter plainte ou de recevoir une forme de réparation ou de reconnaissance, quelle qu’elle soit, de la part du gouvernement américain », a déclaré Sarah Yager, directrice du bureau de Washington de Human Rights Watch. « Les responsables américains ont indiqué qu’ils préféraient tourner la page de la torture, mais les effets à long terme des tortures constituent toujours une réalité quotidienne pour de nombreux Irakiens et pour leur famille. »
Entre avril et juillet 2023, Human Rights Watch a mené des entretiens avec Taleb al-Majli, autrefois détenu à la prison d’Abou Ghraib, ainsi qu’avec trois personnes ayant eu connaissance de sa détention et de l’état dans lequel il se trouvait après sa libération, mais qui ont préféré demeurer anonymes. Human Rights Watch a également échangé avec un ancien juge-avocat américain qui était en poste à Bagdad en 2003, un ancien membre du Haut-Commissariat irakien aux droits humains ainsi qu’avec des représentants de trois organisations non gouvernementales travaillant sur la torture. Enfin Human Rights Watch a consulté des récits et rapports médiatiques et non gouvernementaux, ainsi que des documents du gouvernement américain, notamment des enquêtes du département de la Défense des États-Unis sur les abus présumés infligés aux détenus.
En mai, Al-Majli a déclaré à Human Rights Watch que les forces américaines lui avaient fait subir des tortures et d’autres mauvais traitements, y compris physiques, psychologiques et des humiliations sexuelles, alors qu’elles le maintenaient en détention à la prison d’Abou Ghraib entre novembre 2003 et mars 2005.
Il a affirmé être un des hommes que l’on voit sur une photo prise à Abou Ghraib et largement partagée depuis, figurant un groupe de prisonniers nus et masqués, empilés les uns sur les autres pour former une pyramide humaine, tandis que deux militaires américains sourient derrière eux. « Deux militaires américains, un homme et une femme, nous ont ordonné de nous déshabiller entièrement », a témoigné al-Majli. « Puis ils nous ont entassés les uns sur les autres. J’en faisais partie. »
Al-Majli a déclaré que les forces américaines l’avaient placé en détention alors qu’il rendait visite à des membres de sa famille en 2003.
« Le matin du 31 octobre [2003], l’armée américaine a encerclé le village où vivait mon oncle », a déclaré al-Majli. « Ils ont emmené les garçons et les hommes âgés hors du village. Je leur ai dit : je suis un invité, je suis de Bagdad, je vis là-bas et je suis juste venu rendre visite à mon oncle. Ils m’ont mis un tissu sur la tête et m’ont attaché les mains avec des serre-câbles en plastique, puis m’ont fait monter sur une Humvee. »
Après quelques jours passés dans une base militaire de Habbaniya et dans un lieu inconnu d’Irak, les forces américaines ont emmené al-Majli à la prison d’Abou Ghraib. « C’est là que la torture a commencé », témoigne-t-il. « On nous a déshabillés. On se moquait constamment de nous tandis que nous avions les yeux bandés avec des capuchons sur la tête. Nous étions complètement impuissants. J’ai été torturé au moyen de chiens policiers, de bombes assourdissantes, de tirs à balles réelles et de lances à eau. »
Même si Human Rights Watch n’est pas en mesure de vérifier le récit d’al-Majli de façon concluante, y compris le fait qu’il faisait partie des hommes présents sur la photo de la « pyramide humaine », l’histoire de sa détention à Abou Ghraïb est crédible. Al Majli a présenté des éléments corroborant ses dires, notamment une carte d’identité de prisonnier avec son nom complet, son numéro de détenu et le bloc de sa cellule. D’après son récit, les militaires américains lui avaient établi cette carte à Abou Ghraib après avoir pris sa photo, le scan de son iris et ses empreintes digitales. Al-Majli a également montré à Human Rights Watch une lettre qu’il a obtenue en 2013 de la part du Haut-Commissariat irakien aux droits humains, un organe gouvernemental ayant le mandat de protéger et promouvoir les droits humains en Irak, qui confirme sa détention à la prison d’Abou Ghraib, notamment la date de son arrestation (le 31 octobre 2003), et cite le même numéro de détenu que sa carte d’identité de prisonnier.
Il a précisé qu’il avait conservé ces documents jusqu’à aujourd’hui comme preuve de ce qu’il avait subi.
Au cours de l’occupation de l’Irak par les États-Unis, de 2003 à 2011, les autorités ont placé en détention des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à la prison d’Abou Ghraib. Un rapport de février 2004 rédigé par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à l’attention de la coalition militaire menée par les États-Unis mentionnait que des agents des renseignements militaires avaient déclaré au CICR que 70 à 90 % des personnes détenues par la coalition en 2003 en Irak avaient été arrêtées par erreur.
Al-Majli a précisé qu’après 16 mois de détention à Abou Ghraib, il avait été libéré sans poursuites judiciaires. Bien qu’il ait regagné sa liberté, il a confié qu’il s’était retrouvé souffrant physiquement, sans le sou et traumatisé. Durant sa détention, a-t-il déclaré, il avait commencé à se mordre les mains et les poignets pour supporter le traumatisme qu’il était en train de vivre ; et il continue à le faire jusqu’à maintenant. Des marques saillantes et violacées étaient en effet clairement visibles sur ses mains et ses poignets..
World Opinions + Human Rights Watch
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