Entamée en 2014, l’admirable série autobiographique de Riad Sattouf s’achève. Ce sixième tome est une réussite. Jean-Pierre Filiu, Pascal Ory, Leïla Slimani et Noémie Lvovsky l’ont lu pour « Le Monde des livres ».
Il est comme le diablotin de Milou, distillant mauvais conseils et ricanements acides. L’« Arabe du futur », père du jeune Riad, a beau s’être enfui en Syrie, déchirant par la même occasion la famille Sattouf, il n’a jamais été aussi obsédant que dans ce tome VI, un événement en soi, puisqu’il vient clore cette saga hors du commun.
On s’en souvient, le récit avait commencé au début des années 1980. A l’époque, Abdel-Razak Sattouf était fasciné par le panarabisme et sa promesse de modernité, au point de s’installer volontairement dans la Libye de Kadhafi, avec sa femme bretonne et leur jeune enfant. Au fil des chapitres, les lecteurs se sont laissé fasciner par ce personnage grandiloquent jusqu’au grotesque, qu’ils ont peu à peu découvert raciste, odieux et criminel. Dans ce dernier tome, qui s’achève par le grand basculement des « printemps arabes » de 2011, Abdel-Razak Sattouf est, plus que jamais, le reflet de son temps : lui qui adorait la France et ne jurait que par l’éducation pour combattre l’obscurantisme religieux vomit désormais ce pays de « racistes » et de « mécréants ».
Deux avatars
Le tome VI, qui s’inscrit dans la parfaite continuité des précédents pour la qualité de sa narration, soutenue par un usage à la fois subtil et économe de la couleur, débute en 1994. Riad Sattouf a alors 16 ans. Il a perdu son visage d’ange pour ressembler trait pour trait à l’un des personnages de son film Les Beaux Gosses (2009), qui s’amuse des tourments d’adolescents au physique ingrat se masturbant dans leur chaussette. Mais la vie du jeune Riad est sans doute bien pire que celle des autres « beaux gosses » de son âge : il doit subir les deux avatars de son père, aussi irritants l’un que l’autre. Celui, imaginaire, d’une part, incarnation de sa mauvaise conscience, qui le surveille en se repaissant de ses échecs ; et le père réel, d’autre part, celui qui le harcèle de lettres écrites dans un français approximatif pour le convaincre de le rejoindre en Syrie et de faire médecine, ou plutôt « midecine », au lieu de sombrer dans le « dishonneur » de la bande dessinée.
Sans grande surprise, ce père ne lui sera d’aucune aide pour financer les études de graphisme que Riad Sattouf commence aux Gobelins (Paris 13e). Mais comment prétendre à une carrière d’artiste quand son abominable géniteur vient se moquer, en rêve, de ses « dessins moches qui rapportent trois sous » ? Le lecteur, qui commençait lui-même à redouter les interventions crispantes de l’« Arabe du Futur », accompagne volontiers Riad dans ses séances de psychothérapie.
Par Adrien Le Gal, Jean-Pierre Filiu , Frédéric Potet et Pascal Ory - Le Monde
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