Les programmes Dall-E, Midjourney ou encore Stable Diffusion permettent depuis quelques mois à tout un chacun de créer une image à partir d'une simple description textuelle. Une prouesse technologique reposant cette question centrale: l'intelligence artificielle remplacera-t-elle bientôt l'artiste?
Dall-E est simple d'utilisation et accessible à tout le monde. Ce programme d'intelligence artificielle au nom évoquant à la fois le robot de Pixar WALL-E et le peintre Salvador Dalí peut créer de toutes pièces des images à partir de simples descriptions textuelles telles que "Le Cervin au coucher du soleil selon Van Gogh".
Nouveaux modèles de génération d'images, Midjourney ou Stable Diffusion fonctionnent eux selon le même principe en analysant des milliards de paramètres différents. Tous ces programmes sont disponibles pour le grand public pour un prix modique, de dix à trente dollars par mois pour Midjourney par exemple.
Ces logiciels permettent à toute personne de disposer "d'une prothèse de dessin", indique à la RTS François Fleuret, professeur à l'Université de Genève et spécialiste de l'intelligence artificielle. "On lui fournit du texte et il nous propose une image. C'est ce que l'on appelle de la génération conditionnelle". Le rôle de l'humain se borne à fournir des "prompts", des descriptions du dessin que l'on souhaite obtenir. Courtes, longues, peu importe. Mais il est préférable d'avoir une idée précise de ce que l'on veut, car des millions d'images différentes sont disponibles.
Le photographe suisse Matthieu Gafsou travaille actuellement sur une série d’images créées uniquement avec l’intelligence artificielle de Dall-E, des portraits d'un vieil homme éclairé par le clair de lune. "Quand la figure humaine intervient et que l'on ressent une émotion alors que c’est une intelligence artificielle qui produit ces visages, cela commence à devenir troublant", livre-t-il.
C’est étrange d’être co-créateur avec une entité qui n’est pas vivante.
Matthieu Gafsou, photographe, à propos de l'application Dall-E
Une forme de pillage
Dans le milieu de la bande dessinée, ces nouveaux programmes sont accueillis de manière sceptique. Pour le dessinateur Zep, "c'est à la fois bluffant et horripilant pour les dessinateurs. Dans les bases de données, on entre les noms d'auteurs. Donc l'ordinateur va joyeusement piller le répertoire d'autres dessinateurs pour construire des images. C'est assez agaçant de se dire qu'une machine va analyser notre travail et le recopier. Cela pose toute la question des faux et des vrais. Tout à coup notre monde ne nous appartient plus."
L'auteur de BD Frederik Peeters confesse quant à lui avoir eu un moment de désespoir et de sidération en découvrant Midjourney. Puis assez rapidement est née une forme d'étrange stimulation. "Cela m'a contraint à réaffirmer le pacte avec moi-même concernant pourquoi je fais ce que je fais. Lorsque l'on travaille avec Midjourney, la démarche n'a qu'une seule finalité: le résultat. (...) De mon côté, la case finie ne m'intéresse pas. Ce qui me passionne, ce sont les six mois que je passe à dessiner ma bande dessinée. Je m'endors avec, je me réveille avec, je me réjouis d'aller dessiner la case suivante le lendemain. Ce n'est pas la destination qui compte, c'est le chemin".
Le regard critique des artistes
Face aux algorithmes, peintres et artistes peuvent également faire valoir leur analyse. "Les artistes sont aussi là pour s'emparer de certaines techniques et apporter leur propre regard très critique sur ces technologies", confirme Nathalie Dietschy, professeure en histoire de l’art à l'Université de Lausanne. Pour le plasticien David Curchod, "être un artiste, c’est faire des choix. Donner des options à l’intelligence artificielle, c’est déjà faire un choix d’artiste".
Ce regard critique doit aussi émaner des musées, de manière à créer le débat avec le public lorsque les institutions font le choix d'exposer des images issues de l’intelligence artificielle. "L'image a-t-elle sa place dans le musée? C'est la première question que l'on se pose dans ce genre de situation", explique Manuel Sigrist, responsable numérique à Photo Elysée, à Lausanne.
La question du droit reste encore assez floue. Car si les personnages ou des objets dessinés par un auteur, comme Tintin ou la fusée d'"Objectif lune" peuvent être protégés juridiquement, le style d'un auteur ne l'est pas. Du côté des Etats-Unis, la justice a tranché: une illustration générée par l'intelligence artificielle ne peut être protégée par un copyright. Tous les dessins produits de cette manière sont donc libres de droits.
World Opinions - RTS Culture
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