La condamnation, le 13 janvier en Allemagne, d’un ancien officiel syrien pour des crimes contre l’humanité commis en Syrie représente une avancée majeure dans la lutte contre l’impunité pour les atrocités commises en Syrie. En revanche, une récente décision de la Cour de cassation française fait craindre que la France ne serve de refuge aux auteurs de crimes similaires en Syrie et ailleurs.
Le tribunal de Coblence a reconnu l’officiel syrien, Anwar R., coupable d’avoir supervisé la torture de milliers de détenus, des dizaines de meurtres, ainsi que des viols et des agressions sexuelles dans un centre de détention à Damas, la capitale syrienne. Il l'a condamné à la prison à vie pour ces crimes.
Le procès de Coblence est le premier au monde à juger la torture d’Etat pratiquée à grande échelle en Syrie. Il a pu le faire grâce à l’acceptation par l’Allemagne du principe juridique de compétence universelle qui permet à des autorités judiciaires nationales de poursuivre les crimes les plus graves au regard du droit international, même si ces crimes n’ont pas été commis sur le territoire du pays, ou par ou contre l’un de ses ressortissants.
Le 19 janvier, un second procès pour crimes contre l’humanité commis en Syrie s’est ouvert en Allemagne, au tribunal de Francfort, en vertu du même principe juridique.
La compétence universelle est un outil extrêmement important quand les autres voies vers la justice sont fermées. Dans le cas de la Syrie, elle est actuellement le seul recours pour les victimes d’atrocités. La Syrie n’est pas partie à la Cour pénale internationale (CPI), et la Russie et la Chine bloquent la possibilité pour le Conseil de Sécurité de l’ONU de donner mandat à la CPI d’enquêter sur les graves crimes en Syrie.
Dans ce contexte, l’annonce du verdict de Coblence et l’ouverture du procès de Francfort, pourraient bien, à juste titre, avoir un goût amer pour les survivants syriens et leurs soutiens en France. Car la décision de novembre de la Cour de cassation annule la mise en examen d’un ex-agent syrien présumé réfugié en France accusé de complicité de crimes contre l’humanité. Dans une application pernicieuse du principe de « double incrimination », la plus haute-juridiction du système judiciaire français, a estimé que des poursuites ne pouvaient pas être engagées en vertu du droit français au motif que la loi syrienne n’incrimine pas spécifiquement les crimes contre l’humanité.
La règle de double incrimination fait référence à la norme juridique selon laquelle l’acte pour lequel une personne est poursuivie ou extradée constitue un crime à la fois dans le pays d'accueil et dans le pays où l'acte a été commis. Cette règle empêche des poursuites arbitraires pour des actes qui étaient légaux dans le pays dans lequel et au moment où ils ont été commis. Il s'agit d'une garantie de procédure régulière qui répond aux exigences de sécurité juridique et de prévisibilité. Cependant, la règle de double incrimination n'est pas destinée à protéger un comportement criminel au regard du droit international.
Lorsqu'il s'agit de déterminer si la règle de la double incrimination a été respectée lors de la poursuite d'un individu accusé de crimes contre l'humanité en Syrie, par exemple, un tribunal doit non seulement prendre en compte le droit interne syrien, mais également se demander si les actes incriminés constitueraient un crime contre l'humanité selon le droit international au moment où ils ont été commis. Si la réponse est oui, alors la garantie d’une procédure équitable est respectée. La Cour européenne des droits de l'homme a confirmé cette approche. L'arrêt rendu en novembre par la Cour de cassation française renvoie à la France la responsabilité de mettre sa législation en conformité avec ces normes en matière de droits humains.
La règle de la double incrimination n’est pas la seule condition restrictive que la loi française impose à l’application de la compétence universelle. Par exemple, elle exige aussi que le suspect réside officiellement en France pour que des poursuites pour des crimes graves puissent être engagées. Les organisations de défense des droits appellent depuis longtemps les autorités françaises à remédier à ces failles, mais elles n’ont toujours pas été entendues. La récente décision de la Cour de cassation souligne l’urgence pour le gouvernement et le parlement de s’attaquer à ces restrictions contenues dans la loi afin que la France ne devienne pas une terre de refuge pour les personnes responsables des pires crimes perpétrés dans le monde.
Les autres voies vers la justice étant à ce jour bloquées, les enquêtes pénales menées en Europe offrent une lueur d'espoir aux victimes de crimes en Syrie et ailleurs, qui n’ont aucun autre recours. Les autorités françaises devraient veiller à ce que leur législation ne prive pas les survivants de la possibilité d’accéder un jour à la justice.
World Opinions + HRW
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