Les autorités rwandaises ont raflé et détenu arbitrairement plus d’une dizaine de personnes homosexuelles et transgenres, de travailleuses du sexe, d’enfants des rues et autres dans les mois précédant une conférence internationale de haut niveau prévue en juin 2021, a déclaré Human Rights Watch.
Ils ont été détenus dans un centre de transit dans le quartier de Gikondo de la capitale, Kigali, appelé de manière officieuse « Kwa Kabuga », connu pour ses conditions rudes et inhumaines, qui semblent s’être encore détériorées en raison du nombre accru de détenus et de la pandémie. La Réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth (Commonwealth Heads of Government Meeting, CHOGM), d’abord prévue en juin 2020 puis reprogrammée en juin 2021, a finalement été reportée indéfiniment en mai.« La stratégie du Rwanda visant à promouvoir Kigali pour accueillir les réunions et conférences implique souvent des abus persistants à l’encontre des habitants les plus pauvres et les plus marginalisés de la capitale », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le sommet désormais reporté, les partenaires du Rwanda au sein du Commonwealth font face à un choix : s’exprimer pour défendre les droits des victimes ou rester silencieux alors que la répression à leur encontre se poursuit en leur nom. »
À la suite de rapports publiés en 2015, 2016 et 2020 sur les abus perpétrés dans le centre de transit de Gikondo, ces pratiques abusives ont été condamnées en février 2020 pendant l’examen du Rwanda par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, un organe de traité basé à Genève. Entre avril et juin 2021, Human Rights Watch s’est entretenue par téléphone avec 17 anciens détenus de Gikondo. Ces entretiens, avec neuf personnes qui se sont identifiées comme transgenres ou homosexuelles, trois femmes qui ont été détenues avec leur bébé, quatre hommes qui travaillaient comme vendeurs ambulants dans les marchés locaux et un garçon de 13 ans vivant dans les rues de Kigali ont confirmé que les abus documentés par Human Rights Watch auparavant se poursuivent. Par crainte de représailles contre les personnes interrogées, Human Rights Watch n’a publié aucune information permettant de les identifier.
À Gikondo, les détenus sont enfermés dans des salles surpeuplées, dans des conditions bien en deçà des normes imposées par la loi rwandaise et le droit international. Les anciens détenus ont indiqué qu’ils manquaient de nourriture, d’eau et de soins médicaux appropriés, qu’ils subissaient des passages à tabac fréquents et étaient rarement autorisés à quitter leurs salles insalubres et surpeuplées. Ils y ont été enfermés sans respect des normes de procédure régulière basiques. Aucun des anciens détenus interrogés n’a été officiellement inculpé d’un crime ou délit et aucun d’eux n’a vu un procureur, un juge ou un avocat avant ou pendant sa détention. Aucune mesure n’a été prise pour protéger les personnes contre le Covid-19, et d’anciens détenus ont expliqué qu’ils n’avaient pas accès à des tests, à du savon, à des masques ou à des installations sanitaires et d’hygiène essentielles.
Les personnes interrogées s’identifiant comme homosexuelles ou transgenres ont signalé que les agents de sécurité les ont accusées de « ne pas représenter les valeurs rwandaises ». Elles ont ajouté que d’autres détenus les ont frappées à cause de leurs vêtements et de leur identité. Trois autres détenus, qui étaient enfermés dans la salle des « délinquants » à Gikondo, ont confirmé que des codétenus et des gardes frappaient plus souvent et plus violemment les personnes homosexuelles ou transgenres que les autres.
Dans le passé, des rafles ont été associées à des événements gouvernementaux de haut niveau : avant leur tenue, les forces de sécurité intensifiaient leurs efforts pour « nettoyer » les rues de Kigali. Human Rights Watch a documenté une rafle similaire en 2016 avant un sommet de l’Union africaine qui s’est déroulé à Kigali. À l’approche du sommet du Commonwealth de 2021 désormais reporté, plusieurs anciens détenus ont mentionné que la police leur a indiqué qu’elle ne voulait pas d’eux dans les rues pendant l’événement.
Un membre de la société civile à Kigali a raconté : « Les rues étaient vides avant le sommet. On ne voyait plus un enfant des rues en ville. Même les vendeurs de fruits ont été conduits [à Gikondo]. Maintenant, on peut les voir à nouveau dans les rues. » Des sources à Kigali ont confirmé qu’il y avait moins de personnes vivant ou travaillant dans les rues dans les mois précédant la date du sommet. Plusieurs anciens détenus ont indiqué que les conditions à Gikondo s’étaient détériorées à l’approche de la réunion en raison d’une importante surpopulation.
Une femme de 18 ans, vendeuse ambulante arbitrairement détenue pendant deux semaines avec son bébé de 9 mois, a raconté : « [Les policiers] ont dit que le gouvernement voulait nettoyer la ville en raison du CHOGM. Ils ont indiqué qu’ils nous enfermeraient jusqu’à ce que le CHOGM ait lieu pour ne pas donner notre crasse en spectacle. »
Le Rwanda est l’un des rares pays d’Afrique de l’Est qui ne criminalise pas les relations consenties entre personnes de même sexe. Le vagabondage, la mendicité et la prostitution ne constituent pas non plus des délits. Toutefois, les autorités continuent à utiliser le centre de transit de Gikondo pour emprisonner les personnes accusées de « comportements déviants qui portent atteinte au public », y compris la vente ambulante et le fait de vivre à la rue.
Le Rwanda devrait de toute urgence fermer le centre de transit de Gikondo et modifier le cadre légal régissant le Service national de réhabilitation. Les autorités devraient enquêter rapidement sur tous les cas signalés de mauvais traitements et de passages à tabac de détenus par la police et le personnel du centre de transit – y compris les rapports de détenus morts en détention – et traduire en justice les auteurs présumés, a déclaré Human Rights Watch.
« Compte tenu des expériences passées, il est tout à fait probable que des abus similaires se produiront avant la nouvelle date qui sera choisie pour le sommet du Commonwealth », a conclu Lewis Mudge. « Enfermer les personnes marginalisées et les maltraiter simplement parce que les autorités pensent qu’elles ternissent l’image du pays viole la dignité humaine. Les dirigeants du Commonwealth ne devraient pas tolérer cela. »
Centre de transit de Gikondo
Depuis 2017, la législation et les politiques dans le cadre de la stratégie du gouvernement visant à « éradiquer la délinquance » ont été adoptées pour légitimer et réglementer les soi-disant centres de transit, en les présentant comme un élément d’un processus de « réhabilitation » destiné à soutenir les personnes pauvres et marginalisées. Les autorités reconnaissent l’existence de 28 « centres de transit » au Rwanda, dont « Kwa Kabuga », nom officieux du centre de transit situé dans la banlieue résidentielle de Gikondo à Kigali.
Freedom1 / Human Rights Watch
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