TRIBUNE. L’incapacité de certains États à vacciner leurs populations, laissant les pays riches s’en charger, est le symptôme d’un mal profond, selon Ferghane Azihari.
Vacciner le monde d'ici à la fin de l'année prochaine serait le plus grand exploit de l'histoire médicale », indiquait à juste titre le Premier ministre britannique Boris Johnson dimanche, à l'issue du sommet des dirigeants des pays industrialisés en Angleterre. Un sentiment d'inquiétude nous envahit néanmoins en observant les inégalités vaccinales à l'échelle mondiale. À l'heure où nous écrivons ces lignes, la proportion de personnes ayant au moins reçu une première dose de vaccin s'élève à 11 % dans le monde, 33 % en Europe, 38 % en Amérique du Nord et… 2 % en Afrique.
Le retard vaccinal des pays pauvres nous concerne tous. Sans doute est-ce pourquoi les pays du G7 ont décidé de mettre cette question au centre de leur sommet de ce week-end. Nous avons intérêt à ce que l'humanité atteigne l'immunité de groupe le plus vite possible afin de réduire la probabilité qu'émergent des variants plus dangereux et de rouvrir de manière sécurisée le commerce international. Atteindre cet objectif implique de lever les obstacles à l'augmentation des capacités productives de l'industrie pharmaceutique.
Une simple question de charité ?
Les pays riches seraient bien inspirés de lever les restrictions d'exportations qui fragmentent les marchés et privent les industriels des économies d'échelle nécessaires à la rentabilisation de leurs investissements, et donc à l'augmentation de la production des vaccins et de leurs composants. Ce serait là une mesure bien plus efficace que le programme Covax, qui se condamne à promettre des miettes aux pays pauvres tant que la pénurie n'est pas vaincue.
Mais peut-on réduire les inégalités vaccinales à une simple question de charité ? Telle est la grille de lecture qui domine dans le débat public. Donnant son avis sur la question, le Prix Nobel d'économie Jean Tirole s'est contenté de rappeler les pays riches à leur devoir de solidarité, perpétuant ce que le spécialiste du développement William Easterly a appelé « le fardeau de l'homme blanc ». Nous nous résignons à voir certains peuples enfermés dans l'improductivité et la mendicité perpétuelle.
Signe de l'absence d'ambition pour les pays du Sud, personne ne s'indigne de la progression insuffisante du PIB par habitant de l'Afrique subsaharienne ces dernières décennies. Il s'élevait à 1 350 dollars en 1950, contre 3 500 dollars en 2018. En comparaison, le PIB par habitant d'Israël est passé de 4 500 dollars à 33 000 dollars pendant la même période. Il est évidemment plus facile de mener une campagne de vaccination exemplaire avec des moyens adéquats.
Les « charter cities »
Les obstacles qui freinent le développement des pays du Sud sont pourtant connus. Nous savons depuis deux siècles que le progrès industriel dépend de conditions institutionnelles qui font défaut dans les pays englués dans la misère : des droits de propriété formalisés et sécurisés qui encouragent l'accumulation de capitaux, une stabilité politique qui récompense le commerce et l'entrepreneuriat, un système judiciaire impartial qui garantit la bonne conduite des affaires.
Or ces conditions sont le plus souvent affaiblies par des structures politiques corrompues et insuffisamment montrées du doigt. Ces dernières années, il n'y a guère que le Prix Nobel américain Paul Romer qui a émis des idées audacieuses pour les contourner à travers sa proposition de multiplier des « charter cities », ces villes franches qui se développeraient à partir de territoires vierges faisant sécession des pays mal gouvernés pour être administrées par des gouvernements plus intègres, éventuellement étrangers. Voilà qui conforte la leçon du sociologue Jean Baechler : « Aucun groupe humain n'est condamné à la pauvreté, sinon par son régime politique et ses politiciens. »
*Ferghane Azihari est délégué général de l'Académie libre des sciences humaines (ALSH) et membre de la Société d'économie politique (SEP). Il publie en octobre un essai sur la question écologique aux Presses de la cité.
Par Ferghane Azihari - Le Point
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