ANALYSE. Quels sont les méandres de la stratégie qui a permis au Maroc sous Mohammed VI de devenir une puissance africaine ? Éléments de réponse.
L'ouvrage La Politique africaine du Maroc : identité de rôle et projection de puissance invite à revisiter l'histoire de l'orientation africaine de la diplomatie depuis le début du règne de Mohammed VI (1999) dans ses fondements, ses intérêts, ses champs d'action, ses difficultés et ses conséquences. Il y a encore dix ans, peu de personnes connaissaient ou s'intéressaient à la politique africaine du Maroc. Celle-ci était considérée comme inexistante par certains, comme une diplomatie de niche, voire comme une tentative d'intégration vouée à l'échec par d'autres. Aujourd'hui, cette dimension de l'identité et de la diplomatie du royaume apparaît comme une évidence et comme une réussite. Le retour du Maroc au sein de l'Union africaine en 2017 et l'appui croissant des États africains à la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental – 15 pays ont ouvert un consulat dans les provinces du sud en 2020 – ont suscité un éveil des consciences sur une dynamique pourtant déjà à l'œuvre depuis des années.
L'offensive de charme vers l'Afrique
Il s'agit de l'intégration du Maroc au sein du continent et de son déploiement en tant que puissance africaine, tant dans son identité propre que dans son espace de projection. Cette intégration a reposé principalement sur le levier diplomatique et sur une « stratégie indirecte » conduite depuis le début du règne de Mohammed VI.
En matière diplomatique, la stratégie indirecte est l'art de faire un usage extensif et offensif de la diplomatie, de façon à contourner les champs conflictuels, à obtenir des bénéfices sans lien avec l'affrontement contre l'adversaire (dans ce cas précis le Front Polisario et les États qui le soutiennent), tout en paralysant ce dernier par la multiplication des moyens de dissuasion diplomatique. Cette stratégie contraste clairement avec le passé. Pendant une longue période de son histoire diplomatique, entre le moment où le royaume avait quitté l'OUA (1984) et le début du règne du Mohammed VI (1999), l'approche marocaine avait consisté dans l'application d'une forme de « doctrine Hallstein » sur le continent, en coupant systématiquement ses relations diplomatiques avec les pays qui reconnaissaient le Front Polisario comme un représentant légitime du peuple sahraoui. Cette pratique avait alors conforté son exclusion de plusieurs sphères de coopération multilatérales africaines.
De l'usage d'une diplomatie bilatérale et multisectorielle
Longtemps accusé de défendre ses intérêts territoriaux au détriment d'une vision solidaire avec l'Afrique, le royaume a voulu démontrer que la défense de ses intérêts n'était pas incompatible avec l'expression de cette solidarité. Dans cette perspective, la diplomatie bilatérale est apparue comme le cadre le plus propice à un réengagement aussi prudent que progressif. La prééminence royale sur la politique étrangère a joué un rôle central dans ce processus. En effet, la pérennité des accords de coopération reposait sur la caution symbolique apportée par le monarque à l'entretien de liens personnels avec les chefs d'État africains. En l'espace de 15 ans, entre 2001, date de sa première visite en Mauritanie, et 2016, date de la demande de réadmission à l'UA, le roi a effectué une quarantaine de visites d'État sur le continent, instaurant de nouveaux cadres de coopération multisectoriels, en priorité avec les pays francophones.
Les ministères mis à contribution
L'ensemble des ministères ainsi que le secteur privé étaient mis à contribution dans cet effort pour instaurer un cadre juridique, des normes et des règles de coopération propres à faciliter le travail des secteurs publics comme privés. Dans le prolongement ou en préparation des visites royales, les déplacements du ministre des Affaires étrangères permettaient d'assurer le bon déroulement des négociations. La reconnaissance des provinces sahariennes n'étant plus une condition à l'établissement d'un cadre de coopération, le champ était, désormais, beaucoup plus libre. Les visites royales n'ont pas tardé à produire des résultats positifs.
Dès 2016, une dizaine de pays africains, sur les 26 qui soutenaient habituellement les positions algériennes, ont retiré officiellement leur reconnaissance du Front Polisario comme représentant légitime du peuple sahraoui, tandis que 28 pays africains déposaient une motion pour suspendre la République arabe sahraouie démocratique (RASD) de l'Union africaine. Si cette motion n'a pas abouti, elle a néanmoins marqué un renversement décisif des rapports de force continentaux. Le Maroc était désormais reconnu comme une puissance continentale, au même titre que l'Afrique du Sud ou le Nigeria.
Le secteur privé aussi
La reconnaissance diplomatique de l'intégrité territoriale marocaine n'était toutefois pas le seul leitmotiv de cette politique africaine. Depuis le début du règne de Mohammed VI, le Maroc s'est davantage ouvert aux marchés mondiaux des capitaux et s'est engagé à l'échelle domestique dans la quête de l'émergence par la croissance économique. Cette quête s'est illustrée par des investissements considérables dans les infrastructures urbaines et rurales, par la transition vers la production manufacturière et par le maintien d'un taux de croissance de 4 % en moyenne depuis les années 2000. De nombreuses grandes entreprises publiques et privées souhaitent désormais offrir leurs services à l'extérieur des frontières marocaines et investir de nouveaux marchés.
C'est le cas par exemple dans la gestion de l'électricité, le Maroc ayant atteint un taux de 99 % en matière d'électrification rurale en 2019 contre moins de 30 % en 1999. La présence économique marocaine s'est dès lors affirmée dans différents secteurs en Afrique, parmi lesquels les industries minières, les infrastructures, les banques et assurances, l'agriculture et l'agroalimentaire, les télécommunications et les finances. Dès le milieu des années 2010, le royaume devenait ainsi le premier investisseur africain en Afrique de l'Ouest et le deuxième à l'échelle continentale, après l'Afrique du Sud.
Si les opérateurs économiques sont influents et déterminants dans les orientations prises par la diplomatie, la particularité de la stratégie marocaine réside toutefois dans la subordination de l'outil économique aux impératifs politiques. Cette subordination n'est pas toujours aisée, dans le contexte international de l'affaiblissement des États au profit de la montée en puissance des firmes. Elle est néanmoins réelle, et permet d'assurer la cohérence et la continuité de la nouvelle politique étrangère du Maroc en Afrique.
Par Yousra Abourabi pour The Conversation.com / Le Point Afrique
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