LA VIE EN NOIR - Tous ceux qui ont croisé et observé Jean-Pierre Perrin sur une zone de conflit ont pu être surpris par cette apparente nonchalance affichée. Le nez souvent au vent, le regard papillon, l'ancien journaliste de Libération a bien trompé son monde. En réalité, du haut de son mètre 90, il a tout enregistré. Une ligne d'horizon à l'infini comme une guerre sans fin.
"Ma mère m'a appris à chercher la vérité d'une personne dans son regard", lâche Alexandre, un des personnages central de l'ouvrage. Le romancier a choisi les vérités multiples. Celle de Joan-Manuel, le journaliste-écrivain espagnol pris en otage par Daech avec d'autres compagnons d'infortune. Il est celui qui sort en premier de "L'Usine", surnom donné par les prisonniers et qui désigne leur lieu d'emprisonnement, à Raqqa. Le gouvernement a payé sa rançon. Le livre commence donc par une libération, mais aussi par une prière : "Notre Père qui est aux cieux, que ton Nom soit sanctifié." Avis à tous ceux frappés par le Doute, la guerre a vite fait de vous remettre dans le droit chemin, de vous rappeler à Lui.
Le propos majeur dans les connaissances de l'auteur
Il y a aussi Alexandre, celui qui travaille pour le Ministère des Affaires étrangères. Un type à costard qui ne connaît rien au terrain, un James Bond de bureau parisien. Pas comme Daniel, le mercenaire que l'on rencontre d'abord à Bagdad, en Iraq. Les deux hommes ont un point commun, une mission aux objectifs néanmoins divergents où il est question d'une clé USB qui contient 50 000 photos digitales toutes plus abominables les unes que les autres. Et d'une jeune Américaine, Naïma, potentiellement récupérée par le même groupe que celui de Joan-Manuel. L'intrigue, même si elle est à tiroirs, est vite installée. Le propos majeur est ailleurs.
Il est dans les connaissances de l'auteur. De la région, de son terrain, de l'imbroglio géopolitique. On n'est plus dans la vampirisation des écrits par d'autres. Jean-Pierre Perrin a puisé dans ses souvenirs, ses sensations. C'est du vécu. Alors évidemment, quand sous les traits d'Alexandre, on pénètre le tunnel qui mène à la ville martyr de Homs, en Syrie, on ressent de l'effroi. Trois kilomètres de boyaux. La réalité se mêle à la fiction. Le personnage Alexandre avance accompagné des vrais journalistes Mary Colvin et Pat Conroy. L'auteur se permet alors de se mettre en scène. Lui aussi par le passé a emprunté ce chemin sombre, mais il est grand, il a mal au dos. Peut-être que pour une fois dans sa carrière de correspondant de guerre, n'est-il plus à sa place. On entre alors dans de sales petits calculs. Et si ce Perrin faisait une crise cardiaque. Sur qui compter pour mener la mission au bout, lequel des deux C conviendrait le mieux pour ne pas foirer la mission finale : Colvin ou Conroy, l'ancien soldat ? Ce sera lui. Les ordres, il s'y connaît. Rebrousser chemin ? "N'y songe même pas Perrin !" Dans la vraie vie, la très grande journaliste Mary Colvin perdra la sienne au terme de ce périple. Tout comme le jeune photographe Rémi Ochlick.
Un roman policier pour partager son désarroi
Enfin, il y a Homs. Plongée dans le noir de la fureur, traversée par des lignes rouge sang, fracturée de part en part. En pleine lumière, "la ville montre l'ampleur de ses plaies, la profondeur de ses béances, les coups de croc d'acier qu'elles a reçues et qui l'ont décharnée jusqu'à l'os." Les ruines les observent, croit savoir Perrin. A part les bombes, le silence. "Plus rien de ce brouhaha qui distingue les quartiers populaires arabes à la tombée de la nuit." Alexandre s'agace, trouve ce Perrin un tantinet prétentieux, sentencieux, accusateur. La France qui a reçu le jeune Assad un défilé de 14 juillet, celui qui a donné l'ordre de massacrer son peuple, le diplomate n'aime pas ce rappel de l'Histoire. Il aimera encore moins se faire doubler par un compatriote, le mercenaire Daniel qui lui arrachera pourtant une dernière mission. Naïma deviendra alors son obsession.
Jean-Pierre Perrin prend prétexte de ce roman policier pour partager son désarroi, voire son désamour des grandes idées politiques et diplomatiques. Une vie à parcourir le monde et en particulier cette région-là pour aboutir à quel résultat, semble-t-il vouloir dire. Les mots ne pèsent rien face aux armes surtout lorsque ce sont des mensonges à répétition. Des mensonges qui au lever du jour jusqu'à la tombée de la nuit ne charrient que du sang, des larmes et la mort.
Une Guerre sans fin par Jean-Pierre Perrin, Editions Rivages, 302 pages, 20,90 Euros.
Freedom1Culture / JDD Culture
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