Tribune. À la veille de présidentielles à hauts risques, il convient de se renouveler et de tout mettre en œuvre pour éviter le piège de meurtrières crises électorales.
La situation qui prévaut dans nombre de pays de l'Afrique de l'Ouest à la veille de décisifs scrutins présidentiels est extrêmement préoccupante. Dans quelques jours, si tout se passe comme annoncé, deux élections vont se dérouler sous haute tension. Il s'agit de celles de la Guinée, le 18 octobre, et de la Côte d'Ivoire, le 31 octobre, où les candidatures d'Alpha Condé et d'Alassane Ouattara sont très controversées. En effet, les deux présidents veulent briguer un troisième mandat à la suite d'un changement de leur Constitution. Les arguments invoqués sont truffés de contradictions, les interprétations erronées et le langage utilisé est délibérément trompeur. Nombreux sont les citoyens choqués par le non-respect de leur parole par les dirigeants. Ils sont également révoltés par le refus de reconnaître l'alternance politique pourtant obtenue de haute lutte lors de l'avènement du multipartisme dans les années 1990.
Des coups d'État constitutionnels
Ces deux tentatives d'usurpation du pouvoir s'apparentent à des coups d'État constitutionnels menaçant gravement la stabilité de la sous-région. En Guinée, plusieurs dizaines de personnes ont perdu la vie depuis que la nouvelle Constitution a été promulguée en avril dernier après un référendum biaisé. Il en est de même en Côte d'Ivoire, où la validation de la candidature d'Alassane Ouattara par le Conseil constitutionnel a provoqué une levée de boucliers dans l'opposition et parmi les démocrates. Des manifestations contre son troisième mandat ont déjà causé près d'une quinzaine de morts et de nombreuses arrestations. Le spectre de la crise postélectorale de 2010-2011, issue d'un bras de fer entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, plane sur le pays. Se proclamant tous les deux vainqueurs, leur jusqu'au-boutisme s'est soldé par la défaite de Gbagbo après une guerre civile qui a causé la mort de 3 000 personnes, provoqué un grand nombre de blessés et de déplacés, entraîné des centaines d'arrestations et occasionné de lourds dégâts matériels.
Effondrement du cadre législatif et institutionnel rongé de l'intérieur
La faillite des institutions et juridictions nationales de dernier recours, telles que le Conseil constitutionnel et la Commission électorale (servant à l'établissement des listes électorales), est le résultat de l'effondrement du cadre législatif et institutionnel rongé de l'intérieur et au service du pouvoir. Tout cela anéantit la confiance que les citoyens auraient dû avoir dans les institutions de la République. Il s'ensuit un blocage complet des voies légales alors que les régimes autoritaires interdisent aux citoyens de s'exprimer librement et de manifester de manière non violente en utilisant des méthodes répressives pour faire taire tout mécontentement. Les revendications et manifestations de rue contre les résultats des élections législatives au Mali, par exemple, ont constitué l'étincelle qui a mis le feu aux poudres et provoqué le récent putsch militaire qui a déposé l'ex-président Ibrahim Boubacar Keïta.
Sortir d'une logique du passé
La politique en Afrique reste trop souvent une affaire de personnes s'appuyant sur des appartenances identitaires et non sur des programmes de société. La sphère privée domine les enjeux nationaux au détriment de l'intérêt général. Les populations sont prises en otage pour des raisons personnelles.
L'instabilité grandissante fait surgir un autre danger : la menace terroriste. Les militants d'Al-Qaïda et de l'État islamique opèrent dans la région sahélienne et pourraient profiter du chaos pour étendre leur influence vers la côte.
Appels à la Cedeao et à l'Union africaine
Nous lançons un appel à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Instituée en 1975 par le traité de Lagos, signé par 15 pays anglophones et francophones, elle a pour mission de mutualiser les énergies régionales pour y dynamiser un marché intérieur, mais aussi d'assurer la gestion des conflits et la sécurité collective des pays membres, sans oublier le protocole signé à Dakar en 2001, portant spécifiquement sur la démocratie et la bonne gouvernance. Maintenant que la transition au Mali est sur les rails, nous osons croire que les pays membres vont se pencher urgemment sur le dossier des troisièmes mandats.
Nous lançons un appel à l'Union africaine et à l'Organisation des Nations unies afin que ces institutions adoptent une position ferme pour mettre fin à toute tentative de perversion des principes démocratiques. En Côte d'Ivoire, pour éviter le risque d'un embrasement, il est nécessaire d'amener les acteurs politiques des deux camps à se réunir autour d'une table de négociations afin d'arriver à un consensus qui tracera les lignes d'une élection apaisée et transparente.
Nous vivons une période marquée par des crises sanitaires, sociales, économiques et climatiques ; elle requiert pourtant innovation, courage et vision pour en sortir. Nous pensons que la politique est une affaire trop grave pour être confiée aux seuls politiciens. Il nous faut de nouveaux leaders africains à la hauteur des défis auxquels est confronté le continent.
Par Véronique Tadjo, Eugène Ebodé et Tierno Monénembo - lepoint.fr
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