Le ciel de Messine (Sicile), qu’alourdit la rencontre orageuse des mers ionienne et tyrrhénienne, a pris l’habitude de se déverser en torrents sur le fragile toit-terrasse de l’appartement où Ida a grandi. Elle et sa mère y ont vécu seules, après le départ soudain du père d’Ida. Cet ancien professeur de littérature antique, dépressif, avait un matin fermé la porte sur la lourde et collante humidité du foyer familial, pour ne plus y revenir. Il s’était littéralement liquéfié dans la nature, plus encore, « décomposé en effluves aquatiques ». Et s’infiltrait désormais sous le toit où les deux femmes vivaient recluses dans l’espoir (puis la crainte) que, « vivant ou zombie ou fantôme », le disparu ne se présente un jour à la porte « en réclamant sa moitié de lit et son couvert à table ».
A 20 ans, Ida a franchi le détroit pour gagner la liberté et Rome, sans un coup d’œil en arrière. Une erreur, sans doute : à en croire le mythe d’Orphée et d’Eurydice, les morts ne meurent tout à fait que lorsqu’on les regarde bien en face. Quand, au début d’Adieu fantômes, le splendide deuxième roman traduit de l’écrivaine sicilienne Nadia Terranova (après Les Années à rebours, Quai Voltaire, 2016), sa mère l’appelle pour trier ses affaires et l’aider à superviser les travaux de réfection du toit (leur « dernier acte de générosité » envers l’appartement avant sa mise en vente), Ida, désormais adulte, mariée, et auteure d’historiettes pour la radio, revient quelques jours à Messine. Et y retrouve le spectre paternel, intact, monumental et écrasant comme un tabou jamais égratigné.
Par Zoé Courtois - lemonde.fr
« Adieu fantômes » (Addio fantasmi), de Nadia Terranova, traduit de l’italien par Romane Lafore, Quai Voltaire, 228 p., 22,40 €.
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