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#Livres - #Interview: D. B. John : « La Corée du Nord est un pays très rationnel »

INTERVIEW. Le romancier britannique, ex-avocat, a passé la frontière interdite pour écrire un roman d'espionnage hyper réaliste. Il nous raconte.
Le Point : Pourquoi avoir écrit L'Étoile du nord, un roman d'espionnage sur la Corée du Nord ?

D. B. John : J'ai toujours été fasciné par les dictatures, et celle-ci est une des plus incroyables, les plus poussées, si l'on peut dire, de notre époque. Ce qui se passe dans ce pays est bien plus étrange encore que la fiction ! Tout d'abord le gouvernement : une monarchie absolue, mais marxiste. Puis c'est un pays qui a utilisé la faim comme moyen de contrôle de la population, et qui a envoyé les enfants dans des camps de travail... Lorsque j'ai commencé à écrire ce livre, mon souci était même que les lecteurs doutent de la véracité des faits que je relate. Ils sont si bizarres et si incroyables qu'ils sont parfaits pour un roman d'espionnage.
Quel genre de faits ?
Eh bien, pendant de nombreuses années, la Corée du Nord a procédé à des enlèvements en Corée du Sud et au Japon. Aujourd'hui encore on ignore le nombre de personnes enlevées. En 2014, on a entendu parler du programme des « porteuses de semences ». Il s'agissait de femmes nord-coréennes envoyées à l'étranger pour tomber enceintes. L'idée était d'engendrer des enfants avec une apparence non-coréenne, mais qui pourrait ensuite être endoctrinés, de façon à espionner au profit de la Corée du Nord. Il faut aussi savoir qu'un certain nombre de diplomates en poste à l'étranger se comportent comme des gangsters pour lever des fonds pour la Corée. C'est un pays paranoïaque et violent, dirigé par une seule famille. Une espèce de reliques de la guerre froide qui aurait pu disparaître il y a des décennies, mais qui existe malgré tout. Un pays pas plus grand que l'État de Pennsylvanie, qui continue de menacer les États-Unis avec des armes nucléaires !
Combien de temps êtes-vous resté en Corée ?
J'ai passé six mois au total sur la péninsule. J'étais basé à Séoul, mais j'ai pu visiter la Corée du Nord durant deux semaines à l'occasion d'un voyage organisé. Là-bas tout était extrêmement contrôlé, comme la question de prendre des photos, et je n'ai pas été autorisé à parler aux Nord-Coréens.
Quelle a été votre première impression en arrivant ?
Pyongyang est une capitale différente des autres. C'était comme entrer dans un film. En arrivant, j'ai eu l'impression d'être sur un plateau de cinéma, et les personnes que je croisais étaient toutes des figurants. Parce qu'on ne sait jamais ce que les gens pensent. Tous affichent un sourire permanent qui est comme un masque. Et puis, il était très difficile de leur poser des questions. De plus, je savais qu'il était très risqué de leur poser des questions trop investigatrices. On a le sentiment que tout le monde épie tout le monde, et que cela peut mettre nos interlocuteurs en danger. 
Comment avez-vous fait pour échanger en anglais avec des Coréens ?
Ne pas parler la langue, c'est évidemment avoir un mur entre soi et la véritable expérience de la Corée. Alors j'ai fait ce que je pouvais, entre les traducteurs et les quelques Coréens qui parlaient anglais. Notamment à Séoul où j'ai rencontré de nombreux transfuges. Je leur dois les détails qui m'ont permis de donner vie aux personnages. Et de comprendre que leur pays leur manquait, même s'ils y ont vécu des choses extrêmement dures. J'ai compris leur difficulté à s'adapter au monde libre, où il faut faire des choix, construire son propre chemin, ce qui est très difficile pour eux. D'ailleurs, comme c'est courant pour les personnes souffrant d'un traumatisme, ils ont tendance à modifier leur histoire, qui finit par ressortir tôt ou tard.
Kim Jong-un est-il, selon vous, un fou ou un génie ?
Une des choses fausses que l'on entend à propos de la Corée du Nord, c'est son irrationalité. Le pays est très rationnel. Les Kim ne sont absolument pas fous. Ils se maintiennent au pouvoir, et avec un pouvoir absolu depuis 70 ans ! – ce qui ne se peut pas à partir de la folie mais, au contraire, d'une grande rationalité. Pour conserver ce pouvoir, ils maintiennent la population dans un état de dénuement et d'ignorance de ce qu'il se passe à l'extérieur. C'est pour cela que nous sommes à un moment extrêmement intéressant. Parce que Kim Jong-un est tout à fait persuadé que s'il ouvre trop le pays, il risque une révolution, mais que s'il n'ouvre pas assez, il risque aussi une révolution. C'est quelque chose qui relève du dilemme classique du dictateur que l'on a déjà vu avec le bloc de l'Est.
Vous avez déjà une dictature en vue pour votre prochain roman ?
Le prochain livre, que je dois rendre à mon éditeur dans 18 mois, se situera en Russie. J'ai commencé les recherches, et on peut dire que, dans ce sens, oui, je cherche les ennuis !
Propos recueillis par Julie Malaure/lepoint.fr
L'Étoile du nord, de D. B. John, traduit de l'anglais par Antoine Chainas (Éd. Les arènes / Equinox, 620 pages, 22 euros).

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