Le Mouvement du Pakistan pour la justice d’Imran Khan est en tête du scrutin, mais ses opposants dénoncent des fraudes et l’immixtion de l’armée.
Ce n’est pas le « tsunami » dont Imran Khan rêvait. L’ex-joueur de cricket n’a toutefois pas attendu les résultats définitifs des élections générales pakistanaises. Il a revendiqué, jeudi 26 juillet, la victoire de son parti. « Nous avons réussi. On nous a donné un mandat », a-t-il déclaré lors d’une intervention télévisée en direct dans son quartier général de Bani Gala, à quelques kilomètres d’Islamabad.
Ce n’est pas le « tsunami » dont Imran Khan rêvait. L’ex-joueur de cricket n’a toutefois pas attendu les résultats définitifs des élections générales pakistanaises. Il a revendiqué, jeudi 26 juillet, la victoire de son parti. « Nous avons réussi. On nous a donné un mandat », a-t-il déclaré lors d’une intervention télévisée en direct dans son quartier général de Bani Gala, à quelques kilomètres d’Islamabad.
Le décompte des votes, qui le plaçait en tête, a pris un retard inhabituel dans la nuit : ses rivaux dénoncent des fraudes. Avec à peine 47 % des voix recensées, le Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI) de M. Khan emporterait 114 sièges sur un total de 270 ouverts au vote au Parlement, selon des estimations de la presse : une majorité forte, mais encore trop courte pour qu’il puisse former seul un gouvernement.
Les accusations de ses principaux rivaux annoncent cependant une période de tourmente. La Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (PML-N) et le Parti du peuple (PPP) de Bilawal Bhutto affirment que nombre de leurs agents électoraux ont été renvoyés des bureaux de vote par des soldats qui les gardaient, avant l’envoi des résultats à la commission électorale. « Ce sont des fraudes si flagrantes que tout le monde s’est mis à pleurer. Ce qu’ils ont fait aujourd’hui a ramené le Pakistan trente ans en arrière », a déclaré dans la nuit Shahbaz Sharif, qui dirige le PML-N en l’absence de son frère. L’ex-premier ministre Nawaz Sharif a en effet été emprisonné au début de juillet dans une affaire de corruption. Le parti a rejeté les résultats du scrutin avant même leur annonce officielle.
Tout au long de la campagne, les principaux rivaux du PTI avaient dénoncé des interférences, en leur défaveur, de la part de l’armée et du gouvernement temporaire, qui gérait les affaires courantes avant le vote. Des intimidations de candidats, la présence d’un nombre exceptionnel de soldats dans les bureaux de vote (plus de 370 000 hommes), des milliers d’enquêtes de police ouvertes contre des partisans du PML-N… Un porte-parole de l’armée a qualifié jeudi ces accusations de « propagande malveillante ». Quant à M. Khan, il se défend de longue date d’être le favori des militaires. S’il a pu faire trembler le PML-N depuis des mois, il le doit d’abord à sa propre métamorphose.
« Corruption » des vieilles familles
C’est son côté Donald Trump : M. Khan, le sanguin au tempérament de rock-star, fréquente les plus riches, tout en portant un discours antiélite crédible. Il a su tirer parti du dégoût des classes moyennes urbaines pour la « corruption »des vieilles familles politiciennes : la « mafia » des Sharif, celle des Bhutto. Lui n’a jamais été au gouvernement, ni directement inquiété par une affaire. Mais il a fini par devenir un réaliste. Pour s’imposer dans ce scrutin, il a su séduire de grands barons locaux à la réputation douteuse mais constituant un réservoir de votes, notamment dans le fief PML-N du Pendjab.
« Vous participez à des élections pour gagner. Pas pour être un gentil garçon », s’était-il justifié à la mi-juillet dans le quotidien Dawn. Nombre de ses militants historiques en restent désemparés. « C’est contre ces accapareurs de terres, contre ces islamistes incendiaires que nous nous étions dressés avec lui, pendant des années ! Et maintenant “ils” [l’armée] le soutiennent… C’est vraiment embarrassant… », soupire Amnah Mustafa, enseignante en sciences politiques à la Lahore School of Economics, passionnément engagée dans le PTI pendant dix ans. Aux militants jeunes et éduqués qui désertaient les meetings, les cadres du parti n’ont cessé de répéter qu’« Imran » menait cette année sa dernière campagne. Il a 65 ans. C’était aujourd’hui ou jamais.
Le peuple pakistanais n’a jamais manqué d’amour pour M. Khan, qui était adulé avant d’entrer en politique, en 1996. Il avait mené l’équipe nationale de cricket en tant que capitaine dans l’une de ses plus belles équipées en Coupe du monde, en 1992. Il était pourchassé par les paparazzis, il avait du succès auprès des femmes… Mais sans véritable appareil de parti, il n’a connu que l’échec.
Depuis octobre 2011, cependant, il montait : les rassemblements de masse qu’il organisait alors à Lahore, à Karachi, l’ont fait prendre au sérieux. En 2013, il refuse sa défaite aux élections générales, et dénonce des fraudes avec ses partisans, dans la rue. C’est là qu’il est le plus à l’aise. Au Parlement, il ne siège quasiment pas. Il est en campagne permanente depuis cinq ans. Les affaires judiciaires de M. Sharif lui ont donné l’occasion de multiplier les sit-in.
M. Khan se revendique nationaliste absolu, et musulman « born again ». Il a tout vu de l’Occident, seules comptent la foi et sa terre natale. Il a épousé sa conseillère spirituelle en février 2018 et a puisé, durant la campagne, dans les thèmes des mouvements de l’extrême droite islamiste. Sur les réseaux sociaux, ses partisans ont flirté avec les accusations de blasphème, qui au Pakistan sont des incitations au meurtre.
Imran Khan, « un franc-tireur »
Quant à l’armée, échaudée par l’ex-premier ministre Nawaz Sharif, qui l’a trop défiée, elle a paru s’interroger sur M. Khan. « Il est le moindre mal avec lequel l’armée puisse vivre. Mais elle s’en préoccupe : c’est un franc-tireur, qui se contredit lui-même à chaque détour de phrase… », estime Amir Mateen, animateur d’un talk-show sur une chaîne favorable à M. Khan.
Elu, serait-il contrôlable ? M. Khan a été successivement favorable et hostile au dialogue avec l’Inde, tendre et sévère avec les talibans. Depuis trois ans, il mesure ses dénonciations de l’Occident. Mais un coup de sang est vite arrivé : en 2012, il avait osé suggérer que l’armée abatte les drones américains qui frappaient des militants islamistes dans les régions tribales, à la frontière afghane.
Les militaires fréquentent cependant de longue date le personnage. Il était revenu au cricket en 1987 à la demande du président putschiste Mohammad Zia Ul-Haq. Il a côtoyé le général Pervez Musharraf, avant de s’en écarter en fin de règne, en 2007. Il a surtout été proche de Hamid Gul, l’ancien chef des services secrets militaires pakistanais (Inter Services Intelligence), et grand soutien du « djihad » antisoviétique en Afghanistan, durant les années 1980. En 2013, le Tehrik-e taliban Pakistan, les talibans pakistanais, avait tenté sans succès de se faire représenter par « Taliban Khan » dans des pourparlers avec le gouvernement.
Selon les résultats préliminaires, M. Khan talonne le PML-N dans son fief du Pendjab, « verrou » de cette élection. Il a embrassé la cause du sud déshérité de la province. Il entend la réorganiser en cent jours. Il a promis la naissance d’un « Etat-providence islamique », dix millions d’emplois et cinq millions de logements neufs. Rares sont les analystes qui jugent ces annonces crédibles.
Par Louis Imbert (Lahore (Pakistan), envoyé spécial)/lemonde.fr
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