Virginie Prévost, de l'université libre de Bruxelles, est l'une des très rares chercheuses à travailler sur l'ibadisme, l'école la plus ancienne en islam, fondée moins d'un demi-siècle après la mort du prophète Mahomet. Dans un livre, paru en 2010, intitulé De Djerba à Oman, la troisième voie de l'islam, elle raconte que les mosquées des ibadites sont parfois souterraines. « La recherche de fraîcheur est l'une des raisons qui ont poussé les ibadites à aménager ces salles toujours tempérées ». Toutefois, il existe un rapport avec l'un des plus anciens cultes berbères, « le culte des grottes, autrefois considérées comme la demeure des divinités », écrivait-elle. Dans la petite île de Djerba, au sud-est de la Tunisie, d'à peine 500 km2, il y a eu jusqu'à 166 mosquées ibadites. Depuis que les ibadites sont devenus très minoritaires, la plupart d'entre elles sont tombées en ruine, quelques-unes ont pu être restaurées.
Des mosquées fortifiées
Dans un nouvel ouvrage, cette fois de photographies, signé avec le photographe Axel Derriks, Djerba, les mosquées ibadites, Virginie Prévost classe ces lieux de culte en cinq catégories : les mosquées de campagne, disséminées sur toute la surface de l'île, les mosquées souterraines, les mosquées madrasas, les mosquées de guet côtières et les mosquées fortifiées qui étaient utilisées dans le système défensif de l'île (1). Imaginez une ceinture de mosquées où les fidèles se succédaient, partageant leur temps entre la prière et l'observation de la mer, afin de pouvoir prévenir la population en cas d'attaque. Lorsque les « ennemis » parvenaient à débarquer, les ibadites pouvaient se réfugier dans les mosquées fortifiées, capables de tenir un siège.
Croyance en la prédestination
Car les ibadites – qui ne représentent aujourd'hui qu'à peine 1 % des musulmans de la planète – ont toujours été persécutés par les fondamentalistes. Les islamistes ne les considèrent même pas comme des musulmans. Les ibadites, qui croient en la prédestination, préfèrent vivre sous une autorité non musulmane, mais juste, plutôt que sous le joug d'un tyran islamiste. Pour les ibadites, il ne suffit pas de croire en un dieu unique pour rejoindre le paradis. Le salut ne peut être gagné que grâce à une vie marquée par la piété et le travail. « Selon eux, Dieu connaît à l'avance la destinée de chacune de ses créatures, mais l'homme peut néanmoins diriger sa propre vie », écrit Virginie Prévost. En clair, l'islam pour les ibadites est d'abord une pratique du bien. En dehors du Sultanat d'Oman, il n'existe plus que quelques petites communautés ibadites en Algérie, en Tunisie, en Libye et à Zanzibar.
Mosquée avec minaret-escalier
Comme l'envie et la jalousie sont condamnables aux yeux des ibadites, leurs mosquées se caractérisent par leur sobriété, leur absence de décor. Recouvertes d'une épaisse couche de chaux, elles sont souvent d'une taille réduite. Certains édifices ibadites ne comportent pas de minaret, d'autres, au contraire, possèdent un minaret-escalier. L'architecture du Mzab, en Algérie, qui accueille également une minorité ibadite, a notamment influencé Le Corbusier. Les ibadites sont aujourd'hui très minoritaires sur l'île de Djerba, la majorité des 160 000 habitants étant des musulmans sunnites. Désertés et oubliés, la plupart des lieux de culte tombaient en ruine. Jusqu'à ce que l'Association pour la sauvegarde de l'île de Djerba, fondée en 1976, décide d'en restaurer une vingtaine.
Visites de femmes stériles
Parmi les mosquées souterraines, il y a celle de Sadwîkish, qui daterait du XIe siècle. Elle fait encore l'objet de visites pieuses de la part de femmes stériles qui pensent « pouvoir trouver un remède à leur mal en y faisant l'offrande d'œufs ». Quant aux mosquées madrasas, la plus connue est celle de Walhî, remontant au XIIIe siècle. Outre une salle de prière avec deux mihrabs (des niches qui indiquent la qibla, c'est-à-dire la direction de la Kaaba à La Mecque), des chambres destinées aux étudiants, une pièce pour les ablutions, une cuisine. C'est regrettable que les dizaines de milliers de touristes qui viennent bronzer sur les plages de Djerba ne soient pas mieux informés quant aux richesses architecturales uniques de cette petite île (2).
PAR NOTRE CORRESPONDANT À GENÈVE, IAN HAMEL/afrique.lepoint.fr
(1) Cérès éditions, 162 pages.
(2) Pour ceux qui s'intéressent à l'ibadisme, il existe un Centre d'études et de recherche sur l'ibadisme (Ibadica), 7, avenue de la Porte de Choisy, à Paris.
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