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Musique - Seun Kuti : On doit connaître notre propre histoire

VIDÉO. Au-delà de textes plus engagés sur le plan politique, Seun Kuti, en digne fils de son père Fela, réveille en musique la mémoire des grands leaders panafricains.
Faire une interview par Whatsapp entre Paris et Lagos est une gageure qui relève du système D. « Hey man, c'est Lagos, on doit faire avec ! », relativise un Seun Kuti amusé par nos entretiens entrecoupés de grésil et qui se terminent, de guerre lasse, par des envois de messages vocaux. À défaut de rencontrer Seun Kuti de visu, en live à l'Afrikan Shrine, le temple musical fondé par son père Fela, on imagine en tapis sonore le bruit des go-slow, les fameux embouteillages de la capitale nigériane. La voix rauque du dauphin de l'afro-beat se fait entendre.
Ambiance
Black times, c'est le nom du nouvel opus de Seun Kuti présenté au public parisien au Bataclan le 6 mars dernier, avec en première partie le groupe congolais tous azimuts Jupiter et Okwess. Fondé en 1999 le label anglais Strut, qui a contribué à la seconde carrière du parrain du high-life ghanéen Ebo Taylor, était un véhicule idéal pour les ambitions musicales de Seun : « De mémoire, c'est avec Quinton Scott (fondateur du label Strut NDLR) que j'ai effectué ma première tournée en Angleterre. On a toujours eu une relation amicale. Je venais de quitter Sony. C'était le bon moment pour ce partenariat. »
Comme à son habitude, le plus jeune fils de Fela – il est né en 1983 – tape fort dans ce nouvel album aux textes trempés dans l'acide, qui fustigent les gouvernements corrompus. Comment pourrait-il en être autrement ? Dans la famille Kuti, l'engagement politique est presque une marque déposée ! En sus, le titre de l'album Black Times assume une volonté d'unité des peuples noirs, déjà théorisée par l'Afro-Américain William E.B. Du Bois dans son ouvrage de 1903 Les Âmes du peuple noir. « Nous autres Noirs avons besoin de comprendre qui nous sommes. Nos consciences sont affaiblies », estime Seun Kuti. « J'appelle cela Black Times, les moments noirs, car l'histoire collective des Noirs est émaillée de bons et de mauvais moments. Ce titre rappelle qu'on doit connaître notre propre histoire et qui nous sommes vraiment ! »

De Chaka Zulu à Marcus Garvey

À l'appui de la quête philosophique du chanteur nigérian, on trouve dans l'album de nombreuses références panafricaines : Patrice Lumumba, Nasser, Kwame Nkrumah, Thomas Sankara ou encore Chaka Zulu. Dixit Seun : « Garvey, Stokely Carmichael alias Kwame Ture, Sékou Touré, Beko Ransome Kuti, frère de Fela et militant des droits humains, m'ont influencé. Ces figures se sont sacrifiées pour que j'aie cette liberté de pensée aujourd'hui. Tous les acquis de la condition de la femme et de l'homme modernes africains, de l'étudiant jusqu'au chauffeur de bus, sont le résultat de grands sacrifices. Il faut rendre hommage à ceux qui ont donné leurs ressources, leur énergie, leur sang pour qu'on ait ces opportunités. » Au sein de ce corpus personnel conséquent, Seun Kuti cite volontiers l'intellectuel afro-américain Amos Wilson : « Le docteur est un des théoriciens noirs, décédé en 1995, qui a façonné ma pensée. Je conseille de googler ses discours. Il m'a ouvert les yeux sur les aspects psychologiques de la lutte panafricaine, sur le degré très fort d'endoctrinement des Africains, la dégradation économique et l'inertie politique de nos dirigeants... »
Pour Seun Kuti, le panafricanisme et l'unité des peuples noirs ne sont pas des concepts abstraits : « Je crois en la capacité des Noirs à résoudre leurs problèmes, à trouver des solutions pour leur futur. Partout dans le monde il y a une stigmatisation. L'identité noire est hyper-criminalisée et infantilisée. Nos sociétés ne sont pas suffisamment développées parce qu'on ne nous a pas laissé la chance d'être nous-mêmes, de canaliser notre énergie et de nous assumer de façon pleine et entière. » Afin d'arriver à cette émancipation, Seun Kuti n'exclut pas le recours à la pensée marxiste : « Le marxisme n'est pas éloigné du principe de partage dans les sociétés africaines. Le socialisme faisait partie de la philosophie africaine bien avant que Marx n'invente le communisme. Du marxisme, je retiens que le contrôle de la production devrait bénéficier à l'ensemble du peuple. »

La puissance de l'afrobeat

Sur les diverses scènes, de Paris, à Londres en passant par l'Amérique du Sud, Seun et ses danseuses se sont livrés à la transe de l'afrobeat, ce genre musical aux confluents entre l'high-life du Ghana, la juju nigériane et le funk de James Brown, le tout ponctué par le chekere. Ce cucurbitacée qui a été séché pendant plusieurs mois et vidé de sa pulpe produit un son caractéristique en étant secoué. « Dans toute la musique africaine, il y a un esprit fort qui la rend aussi puissante et énergique. C'est en nous. Ça vient de nos tripes, de notre authenticité », analyse-t-il. Ce rythme hypnotique intronisé par Fela Kuti rend le message politique d'autant plus audible qu'il entre en résonance avec les cuivres de l'Egypt 80. Ce groupe qu'il a fondé dans la foulée du Africa 70 a été ensuite repris par Seun. Le jeune homme y a commencé comme choriste à l'âge de neuf ans : « Je suis très fier de voyager dans le monde entier avec l'Egypt 80. Ce groupe existe grâce au professionnalisme et à la générosité que les membres ont su partager avec moi », rappelle-t-il.

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