Au Maghreb, malgré une production littéraire modeste, quelques hommes politiques publient des ouvrages dans des domaines variés, de la poésie à l’islamologie. Tour d’horizon.
«Nous avons un projet dans lequel ils ont leur place. Ils ont un projet dans lequel nous n’en avons aucune. » Dans une ruelle du centre-ville de Tunis, un anonyme a tagué ces mots de Chokri Belaïd, syndicaliste et leader d’El-Watad, dont l’assassinat, en 2013, a provoqué une grave crise politique. À quelques mètres, la librairie Al Kitab nous renseigne : « Là, nous n’avons plus son recueil de poèmes, mais nous pouvons facilement vous le commander. »
Une affaire de langue et de mots
Ici, le livre politique se porte bien. « En ce moment, nous vendons bien La Promesse du printemps, le dernier livre d’Aziz Krichen [ex-conseiller du président Marzouki et ex-membre du bureau politique du Congrès pour la République]. »
Avant, et c’est toujours le cas au Maroc, écrire des livres semblait risqué pour les hommes politiques
La politique, pour beaucoup, est une affaire de langue et de mots. Certains hommes politiques maghrébins sont des amoureux du verbe quand d’autres sont simplement conscients de son importance.
En Tunisie, si Belaïd se laissait aller à la poésie, ils sont un certain nombre à s’atteler plutôt à des essais, notamment depuis la révolution. « Avant, et c’est toujours le cas au Maroc, écrire des livres semblait risqué pour les hommes politiques, qui ont des carrières longues et qui doivent se garder de fâcher en haut lieu », explique l’historien du Maghreb Pierre Vermeren.
Aujourd’hui, en Tunisie, la tendance est inversée : « Non seulement on écrit, mais on écrit même de bons livres. L’ouvrage de Krichen est meilleur que bien des choses qui se font en France. Le livre redevient un outil pour gagner en légitimité. » Moncef Marzouki, l’ancien président, a sous le coude une impressionnante bibliographie.
Et si la dictature avait suscité l’épanouissement d’une littérature carcérale, la révolution, elle, a accouché d’un vaste rayon consacré à la transition et aux rapports qu’entretiennent la religion et la politique.
Ce qui est dommage, c’est que nos hommes politiques écrivent toujours peu de romans
Hakim Ben Hammouda, économiste et ministre sous Mehdi Jomâa, Jalloul Ayed, ministre sous Béji Caïd Essebsi (BCE), ou encore Mustapha Ben Jaafar, ex-président de l’Assemblée constituante, ont planché sur la période révolutionnaire et transitoire.
Les librairies ont pris des allures de champs de bataille. À la charge antibourguibiste d’Aziz Krichen, dans Le Syndrome Bourguiba, répond l’éloge du président Béji Caïd Essebsi, Habib Bourguiba. Le bon grain et l’ivraie. BCE y émet le vœu de voir la statue du père de l’indépendance à cheval, déplacée à La Goulette peu après le coup d’État de Ben Ali, retrouver sa place au centre-ville de la capitale. Chose faite en mai 2016, alors que l’auteur était président. « Ce qui est dommage, c’est que nos hommes politiques écrivent toujours peu de romans », regrette un libraire tunisois.
L’exception algérienne
En Algérie, ceux qui s’écartent de l’exercice des Mémoires ou du livre politique sont rares. Boualem Bessaih, ministre à plusieurs reprises entre 1977 et son décès en 2016, a tout de même publié un recueil de poèmes, L’Algérie belle et rebelle,préfacé par le président Abdelaziz Bouteflika lui-même.
L’érudition de Bessaih, qui s’est même fendu d’une bande dessinée sur un résistant marocain, L’Épopée du cheikh Bouamama, parue en 1986, est souvent vantée, à l’instar de celle, au Maroc, d’Ahmed Toufiq, ministre des Affaires islamiques depuis 2002. Ce dernier, ancien professeur d’histoire, soufi éclairé et amoureux des sciences humaines, est l’auteur de plusieurs monographies, d’une autobiographie et de plusieurs romans, dont Jarat Abi Mussa, traduit en français par Les Voisines d’Abu Mussa, un conte philosophique planté au beau milieu du XVe siècle marocain.
Mais le gros des auteurs reste pragmatique : « Il s’agit pour d’anciens hauts commis et fonctionnaires de témoigner, afin de participer d’une autre manière aux débats d’idées », explique Nacer Mehal, ancien ministre de la Communication, qui se désole qu’au contraire de la Tunisie la dynamique en Algérie lui semble « à la baisse ». La tradition n’est pas nouvelle, et Mohammed Harbi, l’ancien conseiller d’Ahmed Ben Bella, l’illustre bien : ce militant de la première heure du Front de libération nationale (FLN) est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont plusieurs sur le parti lui-même.
L’importance de ces ouvrages politiques n’est pourtant plus à prouver, en particulier dans un pays dont le système politique est encore largement opaque. Un militant de l’opposition concède, à propos du livre de l’ancien ministre de l’économie Ghazi Hidouci : « Un livre comme Algérie, la libération inachevée. Dans les coulisses du pouvoir, c’est un acte de transparence et une source d’information formidable ! »
Quelques titres
Sept controverses en Islam. Parlons-en ! Elyzad, Tunis, 2016, par Olfa Youssef, passée par le parti Nidaa Tounes.
La Chine et nous. Répondre au second dépassement, La Croisée des chemins, Casablanca, 2016, par Fathallah Oualalaou, cadre de l’USFP et ancien ministre de l’Économie.
Mon combat pour les Lumières, Zellige, Paris, 2009, par Mohamed Charfi, président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme en 1989 et ministre de l’Éducation entre 1989 et 1994.
Luttes d’un peuple, émergence d’une nation, Juba, Alger 2013, par Kamel Bouchama, ministre de la Jeunesse et des Sports entre 1984 et 1988.
Par Jules Crétois/jeuneafrique.com
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