Dès son premier roman, Terre ceinte, Mohamed Mbougar Sarr frappait fort en obtenantle prix Ahmadou-Kourouma. Dans son nouveau livre, Silence du chœur, il s’inspire du drame des migrants en Sicile.
Il attend sagement dans la librairie Présence africaine, à quelques pas de la Sorbonne (Paris). Mohamed Mbougar Sarr a un côté bon élève. Sûrement des restes de son passage par le Prytanée militaire de Saint-Louis.
Il attend sagement dans la librairie Présence africaine, à quelques pas de la Sorbonne (Paris). Mohamed Mbougar Sarr a un côté bon élève. Sûrement des restes de son passage par le Prytanée militaire de Saint-Louis.
À 27 ans, il publie son deuxième roman, Silence du chœur. Un pavé de plus de 400 pages qui raconte l’arrivée dans un petit village sicilien d’un groupe de migrants venus d’Afrique subsaharienne. Sarr déplie son long corps fin et propose de s’installer à la terrasse d’un café. Il détache ses mots avec application, et son vocabulaire est précieux. Il sourit, se détend et lâche avec un naturel dévoilant un certain sens de l’autodérision : « Désolé, parfois on se met à jouer son propre rôle. Dans mon cas, celui du jeune auteur. »
Les portes de la librairie Présence africaine, où se nichent les éditions du même nom, il les a poussées en 2014, un manuscrit à la main. Celui de Terre ceinte, son premier roman. « C’était un rêve prétentieux et risqué. » Quand il rencontre « Madame Diop », la veuve d’Alioune Diop, le fondateur de la maison, il se sent pris d’un vertige. La femme incarne ce qui le travaille alors depuis déjà quelques années : les lettres.
Mon père est médecin. Je suis le fils d’un littéraire contrarié
Né à Dakar en 1990, élevé à Diourbel, il est habité par la littérature. « Il y a eu tous ces très mauvais poèmes griffonnés pendant le Prytanée », détaille-t‑il. Vers 17 ans, il collabore avec le journal de son école. À partir de 2010, ses valises posées en France pour entrer en hypokhâgne, il lit frénétiquement. Il cherche, les yeux dans le vide, ce qui a bien pu le pousser à l’écriture. « Mon père est médecin. Je suis le fils d’un littéraire contrarié », lâche-t‑il sur un ton peu assuré.
Présence africaine accepte Terre ceinte « après quelques mois d’attente assez éprouvants ». Depuis la parution de ce premier roman, Sarr passe beaucoup de temps à en faire la promotion. « Une facette méconnue du travail d’auteur, grisante au début, un peu fatigante parfois… »
Une médaille de bronze en Côte d’Ivoire
À l’heure où nous le rencontrons, Sarr, qui vit entre autres d’une bourse d’État sénégalaise entre Paris et Beauvais avec sa petite amie, une « lectrice pointue » française, revient de Côte d’Ivoire, où il a participé à un concours de nouvelles en présentant Ndënd, courte histoire d’un musicien, qui lui a valu une médaille de bronze.
Il s’apprête à partir en Bretagne pour animer un atelier d’écriture avec les employés d’une grande entreprise française. Il trouve tout de même du temps pour écrire. La nuit – « au stylo et au papier pour les premières pages », sur son ordinateur ensuite –, dans le silence.
Je veux, je dois garder un pied dans la théorie. C’est ce savoir qui enrichit la fiction
Terre ceinte a reçu un succès critique et le prix Ahmadou-Kourouma. Le ministère de l’Éducation nationale sénégalais en a passé commande. Sarr ne cache pas sa satisfaction, mais ne feint pas le talent inné du démiurge. « Écrire, c’est beaucoup de travail. »
Il tient un blog, écrit des nouvelles. L’une d’elle, La Cale, lui a valu le prix Stéphane-Hessel en 2014. Il rédige aussi une thèse, dans laquelle il étudie la parution concomitante, autour de l’année 1968, d’ouvrages majeurs de la littérature ouest-africaine de Yambo Ouologuem, Ahmadou Kourouma et Malick Fall.
Le jeune auteur a déjà soutenu un mémoire, sur Léopold Sédar Senghor. « Le socialisme africain, quand tu es un jeune Sénégalais, tu ne peux pas ne pas y réfléchir, lâche-t‑il en tirant sur son bracelet de petites perles en bois. Étudier, notamment la sociologie, c’est important pour moi. Je veux, je dois garder un pied dans la théorie. C’est ce savoir qui enrichit la fiction. »
Une conscience du monde
En parlant, il mime une mise en boîte avec des gestes saccadés. Ses études le ramènent aussi à son pays natal et lui permettent de mieux comprendre les relations entre l’ancienne puissance coloniale et le continent. Une relation dont il sait que son travail est tributaire.
Sans se dire engagé, Sarr concède : « Oui, mes romans sont traversés par des questions, disons… politiques. » Ils portent une conscience du monde, jouent avec les codes du réalisme et de la fiction.
Broderie autour du conflit malien
Terre ceinte, qui recelait encore les hésitations d’un premier roman, se déroulait dans une ville imaginaire que Sarr a appelée Kalep, contraction de Kidal et d’Alep. Des jeunes gens y entrent en résistance contre des jihadistes imposant un ordre terrible et brutal. Le roman, broderie autour du douloureux conflit malien, est aussi l’éloge d’une subversion où quête du bonheur et pratique politique ne font qu’un.
Silence du chœur, dont il a commencé la rédaction dès 2015, n’est pas une suite, mais a quelque chose de la réplique. En abordant la question de la fuite et du déplacement vers le Nord, il évoque bien entendu le problème des guerres du Sud.
« L’idée d’écrire Silence du chœur m’est venue en Sicile. J’y ai rejoint un ami dans une région où beaucoup de migrants débarquent. Je voulais voir cela de mes yeux, sans être certain que cela finirait par donner un livre. J’ai passé une quinzaine de jours là-bas à observer la situation, à rencontrer des gens. »
Un humanisme aux allures de sédition politique
Dans ce deuxième roman, le narrateur s’efface. Non pas derrière un héros, mais derrière une multiplicité de personnages : habitants du village sicilien et nouveaux arrivants. Fiction à plus d’un titre – il n’y a que le nom « Sicile » qui renvoie à la réalité, et si le nom du village, Altino, existe bien, c’est sur le continent et non sur l’île –, le roman garde quelque chose de l’étude raisonnée des rapports sociaux.
Comme Terre ceinte, il est baigné d’une lumière optimiste. Celle de la solidarité qui ressurgit dans les moments les plus durs, celle d’un humanisme quasi instinctif qui prend des allures de sédition politique.
Si ses livres résonnent avec l’actualité, le terme suscite chez Sarr une petite grimace. « Tout ce flot d’informations, cette vitesse, ce bruit… Les annonces se suivent, et on oublie ce qui s’est passé la veille… On ne s’arrête plus. » L’écrivain a besoin des informations, il ne le cache pas : « C’est dans des articles, sur des blogs que j’ai pu me renseigner sur les actions de résistance à Kidal, qui m’ont inspiré pour mon livre. »
Quand j’ai terminé ma première version, le livre faisait pas loin de 800 pages. Il ne fallait pas affiner, il fallait élaguer !
Mais il veut prendre le temps de s’arrêter, de sonder son sujet en profondeur, de s’offrir l’espace nécessaire à sa compréhension. « Quand j’ai terminé ma première version, le livre faisait pas loin de 800 pages. Il ne fallait pas affiner, il fallait élaguer ! J’ai profité d’une résidence d’écriture, en 2016, pour trancher et polir. » Il poursuit : « Il faut bien des incises. C’est là, dans les incises, qu’on crée le mythe. »
Animé par les mythes, il est persuadé que notre monde en manque. Même s’il cultive une certaine modestie, il n’en est pas moins ambitieux. Il entend bien participer à la connaissance de notre monde.
Extrait
«Pourquoi es-tu parti de chez toi ? » C’est pour un réfugié une question difficile. On ne la lui épargnera donc jamais. Tout le monde la lui pose. Il l’entend lorsqu’il passe ses commissions. Les personnes émues par sa présence la lui adressent. Celles qui lui sont hostiles aussi. Ces trois différents interlocuteurs lui posent cette même question dans laquelle, tout dissemblables qu’ils puissent être, ils se retrouvent pourtant.
Prenons l’exemple des deux premiers types d’interlocuteurs, à savoir : le représentant d’une commission et la personne bienveillante émue par le réfugié. Devant eux, ce dernier dispose de deux types de réponses : les réponses qui commencent par « parce que » ou « à cause de » d’une part, et celles qui commencent par « pour » ou « afin » de l’autre.
Devant la commission ou devant la personne bienveillante assoiffée d’émotion, le migrant peut insister sur la cause de son départ ou sur son but, sur le motif ou le mobile, sur la raison ou l’objectif. Selon l’option qu’il choisira, il ne sera pas vraiment le même type d’immigré.À 27 ans, il publie son deuxième roman, Silence du chœur. Un pavé de plus de 400 pages qui raconte l’arrivée dans un petit village sicilien d’un groupe de migrants venus d’Afrique subsaharienne. Sarr déplie son long corps fin et propose de s’installer à la terrasse d’un café. Il détache ses mots avec application, et son vocabulaire est précieux. Il sourit, se détend et lâche avec un naturel dévoilant un certain sens de l’autodérision : « Désolé, parfois on se met à jouer son propre rôle. Dans mon cas, celui du jeune auteur. »
Les portes de la librairie Présence africaine, où se nichent les éditions du même nom, il les a poussées en 2014, un manuscrit à la main. Celui de Terre ceinte, son premier roman. « C’était un rêve prétentieux et risqué. » Quand il rencontre « Madame Diop », la veuve d’Alioune Diop, le fondateur de la maison, il se sent pris d’un vertige. La femme incarne ce qui le travaille alors depuis déjà quelques années : les lettres.
Mon père est médecin. Je suis le fils d’un littéraire contrarié
Né à Dakar en 1990, élevé à Diourbel, il est habité par la littérature. « Il y a eu tous ces très mauvais poèmes griffonnés pendant le Prytanée », détaille-t‑il. Vers 17 ans, il collabore avec le journal de son école. À partir de 2010, ses valises posées en France pour entrer en hypokhâgne, il lit frénétiquement. Il cherche, les yeux dans le vide, ce qui a bien pu le pousser à l’écriture. « Mon père est médecin. Je suis le fils d’un littéraire contrarié », lâche-t‑il sur un ton peu assuré.
Présence africaine accepte Terre ceinte « après quelques mois d’attente assez éprouvants ». Depuis la parution de ce premier roman, Sarr passe beaucoup de temps à en faire la promotion. « Une facette méconnue du travail d’auteur, grisante au début, un peu fatigante parfois… »
Une médaille de bronze en Côte d’Ivoire
À l’heure où nous le rencontrons, Sarr, qui vit entre autres d’une bourse d’État sénégalaise entre Paris et Beauvais avec sa petite amie, une « lectrice pointue » française, revient de Côte d’Ivoire, où il a participé à un concours de nouvelles en présentant Ndënd, courte histoire d’un musicien, qui lui a valu une médaille de bronze.
Il s’apprête à partir en Bretagne pour animer un atelier d’écriture avec les employés d’une grande entreprise française. Il trouve tout de même du temps pour écrire. La nuit – « au stylo et au papier pour les premières pages », sur son ordinateur ensuite –, dans le silence.
Je veux, je dois garder un pied dans la théorie. C’est ce savoir qui enrichit la fiction
Terre ceinte a reçu un succès critique et le prix Ahmadou-Kourouma. Le ministère de l’Éducation nationale sénégalais en a passé commande. Sarr ne cache pas sa satisfaction, mais ne feint pas le talent inné du démiurge. « Écrire, c’est beaucoup de travail. »
Il tient un blog, écrit des nouvelles. L’une d’elle, La Cale, lui a valu le prix Stéphane-Hessel en 2014. Il rédige aussi une thèse, dans laquelle il étudie la parution concomitante, autour de l’année 1968, d’ouvrages majeurs de la littérature ouest-africaine de Yambo Ouologuem, Ahmadou Kourouma et Malick Fall.
Le jeune auteur a déjà soutenu un mémoire, sur Léopold Sédar Senghor. « Le socialisme africain, quand tu es un jeune Sénégalais, tu ne peux pas ne pas y réfléchir, lâche-t‑il en tirant sur son bracelet de petites perles en bois. Étudier, notamment la sociologie, c’est important pour moi. Je veux, je dois garder un pied dans la théorie. C’est ce savoir qui enrichit la fiction. »
Une conscience du monde
En parlant, il mime une mise en boîte avec des gestes saccadés. Ses études le ramènent aussi à son pays natal et lui permettent de mieux comprendre les relations entre l’ancienne puissance coloniale et le continent. Une relation dont il sait que son travail est tributaire.
Sans se dire engagé, Sarr concède : « Oui, mes romans sont traversés par des questions, disons… politiques. » Ils portent une conscience du monde, jouent avec les codes du réalisme et de la fiction.
Broderie autour du conflit malien
Terre ceinte, qui recelait encore les hésitations d’un premier roman, se déroulait dans une ville imaginaire que Sarr a appelée Kalep, contraction de Kidal et d’Alep. Des jeunes gens y entrent en résistance contre des jihadistes imposant un ordre terrible et brutal. Le roman, broderie autour du douloureux conflit malien, est aussi l’éloge d’une subversion où quête du bonheur et pratique politique ne font qu’un.
Silence du chœur, dont il a commencé la rédaction dès 2015, n’est pas une suite, mais a quelque chose de la réplique. En abordant la question de la fuite et du déplacement vers le Nord, il évoque bien entendu le problème des guerres du Sud.
« L’idée d’écrire Silence du chœur m’est venue en Sicile. J’y ai rejoint un ami dans une région où beaucoup de migrants débarquent. Je voulais voir cela de mes yeux, sans être certain que cela finirait par donner un livre. J’ai passé une quinzaine de jours là-bas à observer la situation, à rencontrer des gens. »
Un humanisme aux allures de sédition politique
Dans ce deuxième roman, le narrateur s’efface. Non pas derrière un héros, mais derrière une multiplicité de personnages : habitants du village sicilien et nouveaux arrivants. Fiction à plus d’un titre – il n’y a que le nom « Sicile » qui renvoie à la réalité, et si le nom du village, Altino, existe bien, c’est sur le continent et non sur l’île –, le roman garde quelque chose de l’étude raisonnée des rapports sociaux.
Comme Terre ceinte, il est baigné d’une lumière optimiste. Celle de la solidarité qui ressurgit dans les moments les plus durs, celle d’un humanisme quasi instinctif qui prend des allures de sédition politique.
Si ses livres résonnent avec l’actualité, le terme suscite chez Sarr une petite grimace. « Tout ce flot d’informations, cette vitesse, ce bruit… Les annonces se suivent, et on oublie ce qui s’est passé la veille… On ne s’arrête plus. » L’écrivain a besoin des informations, il ne le cache pas : « C’est dans des articles, sur des blogs que j’ai pu me renseigner sur les actions de résistance à Kidal, qui m’ont inspiré pour mon livre. »
Quand j’ai terminé ma première version, le livre faisait pas loin de 800 pages. Il ne fallait pas affiner, il fallait élaguer !
Mais il veut prendre le temps de s’arrêter, de sonder son sujet en profondeur, de s’offrir l’espace nécessaire à sa compréhension. « Quand j’ai terminé ma première version, le livre faisait pas loin de 800 pages. Il ne fallait pas affiner, il fallait élaguer ! J’ai profité d’une résidence d’écriture, en 2016, pour trancher et polir. » Il poursuit : « Il faut bien des incises. C’est là, dans les incises, qu’on crée le mythe. »
Animé par les mythes, il est persuadé que notre monde en manque. Même s’il cultive une certaine modestie, il n’en est pas moins ambitieux. Il entend bien participer à la connaissance de notre monde.
Extrait
«Pourquoi es-tu parti de chez toi ? » C’est pour un réfugié une question difficile. On ne la lui épargnera donc jamais. Tout le monde la lui pose. Il l’entend lorsqu’il passe ses commissions. Les personnes émues par sa présence la lui adressent. Celles qui lui sont hostiles aussi. Ces trois différents interlocuteurs lui posent cette même question dans laquelle, tout dissemblables qu’ils puissent être, ils se retrouvent pourtant.
Prenons l’exemple des deux premiers types d’interlocuteurs, à savoir : le représentant d’une commission et la personne bienveillante émue par le réfugié. Devant eux, ce dernier dispose de deux types de réponses : les réponses qui commencent par « parce que » ou « à cause de » d’une part, et celles qui commencent par « pour » ou « afin » de l’autre.
Devant la commission ou devant la personne bienveillante assoiffée d’émotion, le migrant peut insister sur la cause de son départ ou sur son but, sur le motif ou le mobile, sur la raison ou l’objectif. Selon l’option qu’il choisira, il ne sera pas vraiment le même type d’immigré.
À 27 ans, il publie son deuxième roman, Silence du chœur. Un pavé de plus de 400 pages qui raconte l’arrivée dans un petit village sicilien d’un groupe de migrants venus d’Afrique subsaharienne. Sarr déplie son long corps fin et propose de s’installer à la terrasse d’un café. Il détache ses mots avec application, et son vocabulaire est précieux. Il sourit, se détend et lâche avec un naturel dévoilant un certain sens de l’autodérision : « Désolé, parfois on se met à jouer son propre rôle. Dans mon cas, celui du jeune auteur. »
Les portes de la librairie Présence africaine, où se nichent les éditions du même nom, il les a poussées en 2014, un manuscrit à la main. Celui de Terre ceinte, son premier roman. « C’était un rêve prétentieux et risqué. » Quand il rencontre « Madame Diop », la veuve d’Alioune Diop, le fondateur de la maison, il se sent pris d’un vertige. La femme incarne ce qui le travaille alors depuis déjà quelques années : les lettres.
Mon père est médecin. Je suis le fils d’un littéraire contrarié
Né à Dakar en 1990, élevé à Diourbel, il est habité par la littérature. « Il y a eu tous ces très mauvais poèmes griffonnés pendant le Prytanée », détaille-t‑il. Vers 17 ans, il collabore avec le journal de son école. À partir de 2010, ses valises posées en France pour entrer en hypokhâgne, il lit frénétiquement. Il cherche, les yeux dans le vide, ce qui a bien pu le pousser à l’écriture. « Mon père est médecin. Je suis le fils d’un littéraire contrarié », lâche-t‑il sur un ton peu assuré.
Présence africaine accepte Terre ceinte « après quelques mois d’attente assez éprouvants ». Depuis la parution de ce premier roman, Sarr passe beaucoup de temps à en faire la promotion. « Une facette méconnue du travail d’auteur, grisante au début, un peu fatigante parfois… »
Une médaille de bronze en Côte d’Ivoire
À l’heure où nous le rencontrons, Sarr, qui vit entre autres d’une bourse d’État sénégalaise entre Paris et Beauvais avec sa petite amie, une « lectrice pointue » française, revient de Côte d’Ivoire, où il a participé à un concours de nouvelles en présentant Ndënd, courte histoire d’un musicien, qui lui a valu une médaille de bronze.
Il s’apprête à partir en Bretagne pour animer un atelier d’écriture avec les employés d’une grande entreprise française. Il trouve tout de même du temps pour écrire. La nuit – « au stylo et au papier pour les premières pages », sur son ordinateur ensuite –, dans le silence.
Je veux, je dois garder un pied dans la théorie. C’est ce savoir qui enrichit la fiction
Terre ceinte a reçu un succès critique et le prix Ahmadou-Kourouma. Le ministère de l’Éducation nationale sénégalais en a passé commande. Sarr ne cache pas sa satisfaction, mais ne feint pas le talent inné du démiurge. « Écrire, c’est beaucoup de travail. »
Il tient un blog, écrit des nouvelles. L’une d’elle, La Cale, lui a valu le prix Stéphane-Hessel en 2014. Il rédige aussi une thèse, dans laquelle il étudie la parution concomitante, autour de l’année 1968, d’ouvrages majeurs de la littérature ouest-africaine de Yambo Ouologuem, Ahmadou Kourouma et Malick Fall.
Le jeune auteur a déjà soutenu un mémoire, sur Léopold Sédar Senghor. « Le socialisme africain, quand tu es un jeune Sénégalais, tu ne peux pas ne pas y réfléchir, lâche-t‑il en tirant sur son bracelet de petites perles en bois. Étudier, notamment la sociologie, c’est important pour moi. Je veux, je dois garder un pied dans la théorie. C’est ce savoir qui enrichit la fiction. »
Une conscience du monde
En parlant, il mime une mise en boîte avec des gestes saccadés. Ses études le ramènent aussi à son pays natal et lui permettent de mieux comprendre les relations entre l’ancienne puissance coloniale et le continent. Une relation dont il sait que son travail est tributaire.
Sans se dire engagé, Sarr concède : « Oui, mes romans sont traversés par des questions, disons… politiques. » Ils portent une conscience du monde, jouent avec les codes du réalisme et de la fiction.
Broderie autour du conflit malien
Terre ceinte, qui recelait encore les hésitations d’un premier roman, se déroulait dans une ville imaginaire que Sarr a appelée Kalep, contraction de Kidal et d’Alep. Des jeunes gens y entrent en résistance contre des jihadistes imposant un ordre terrible et brutal. Le roman, broderie autour du douloureux conflit malien, est aussi l’éloge d’une subversion où quête du bonheur et pratique politique ne font qu’un.
Silence du chœur, dont il a commencé la rédaction dès 2015, n’est pas une suite, mais a quelque chose de la réplique. En abordant la question de la fuite et du déplacement vers le Nord, il évoque bien entendu le problème des guerres du Sud.
« L’idée d’écrire Silence du chœur m’est venue en Sicile. J’y ai rejoint un ami dans une région où beaucoup de migrants débarquent. Je voulais voir cela de mes yeux, sans être certain que cela finirait par donner un livre. J’ai passé une quinzaine de jours là-bas à observer la situation, à rencontrer des gens. »
Un humanisme aux allures de sédition politique
Dans ce deuxième roman, le narrateur s’efface. Non pas derrière un héros, mais derrière une multiplicité de personnages : habitants du village sicilien et nouveaux arrivants. Fiction à plus d’un titre – il n’y a que le nom « Sicile » qui renvoie à la réalité, et si le nom du village, Altino, existe bien, c’est sur le continent et non sur l’île –, le roman garde quelque chose de l’étude raisonnée des rapports sociaux.
Comme Terre ceinte, il est baigné d’une lumière optimiste. Celle de la solidarité qui ressurgit dans les moments les plus durs, celle d’un humanisme quasi instinctif qui prend des allures de sédition politique.
Si ses livres résonnent avec l’actualité, le terme suscite chez Sarr une petite grimace. « Tout ce flot d’informations, cette vitesse, ce bruit… Les annonces se suivent, et on oublie ce qui s’est passé la veille… On ne s’arrête plus. » L’écrivain a besoin des informations, il ne le cache pas : « C’est dans des articles, sur des blogs que j’ai pu me renseigner sur les actions de résistance à Kidal, qui m’ont inspiré pour mon livre. »
Quand j’ai terminé ma première version, le livre faisait pas loin de 800 pages. Il ne fallait pas affiner, il fallait élaguer !
Mais il veut prendre le temps de s’arrêter, de sonder son sujet en profondeur, de s’offrir l’espace nécessaire à sa compréhension. « Quand j’ai terminé ma première version, le livre faisait pas loin de 800 pages. Il ne fallait pas affiner, il fallait élaguer ! J’ai profité d’une résidence d’écriture, en 2016, pour trancher et polir. » Il poursuit : « Il faut bien des incises. C’est là, dans les incises, qu’on crée le mythe. »
Animé par les mythes, il est persuadé que notre monde en manque. Même s’il cultive une certaine modestie, il n’en est pas moins ambitieux. Il entend bien participer à la connaissance de notre monde.
Extrait
«Pourquoi es-tu parti de chez toi ? » C’est pour un réfugié une question difficile. On ne la lui épargnera donc jamais. Tout le monde la lui pose. Il l’entend lorsqu’il passe ses commissions. Les personnes émues par sa présence la lui adressent. Celles qui lui sont hostiles aussi. Ces trois différents interlocuteurs lui posent cette même question dans laquelle, tout dissemblables qu’ils puissent être, ils se retrouvent pourtant.
Prenons l’exemple des deux premiers types d’interlocuteurs, à savoir : le représentant d’une commission et la personne bienveillante émue par le réfugié. Devant eux, ce dernier dispose de deux types de réponses : les réponses qui commencent par « parce que » ou « à cause de » d’une part, et celles qui commencent par « pour » ou « afin » de l’autre.
Devant la commission ou devant la personne bienveillante assoiffée d’émotion, le migrant peut insister sur la cause de son départ ou sur son but, sur le motif ou le mobile, sur la raison ou l’objectif. Selon l’option qu’il choisira, il ne sera pas vraiment le même type d’immigré.
Par Jules Crétois/jeuneafrique.com
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