"Arrête avec tes mensonges", de Philippe Besson, a divisé la rédaction. Poignant récit autobiographique ou confession qui sonne faux? Le débat est lancé.
Delphine Peras: Je ne suis pas une inconditionnelle des romans de Philippe Besson, loin de là. Mais celui-ci m'a vraiment émue, tant par sa sincérité que par son talent à mettre en mots cet amour de jeunesse sans issue. J'ai été touchée par son évocation de l'adolescence et de l'homosexualité. Lui qui se refusait jus - qu'alors à verser dans l'autofiction saute enfin le pas - c'est son 18e roman -, porté par l'urgence de témoigner et la nécessité de se mettre complètement à nu. J'y vois un certain courage.
Jérôme Dupuis: Le sujet est bon. Philippe, premier de la classe à lunettes un peu coincé, a une expérience homosexuelle avec un garçon "sauvage" dans la France des années 1980. Le problème, c'est que, trente ans plus tard, au fond, Philippe Besson n'a pas changé et raconte tout cela dans un style emprunté. Ainsi est décrit leur premier contact, sorte de "climax" du roman: "Je tâche [...] d'évaluer la nature de l'aléa qui conduit à la rencontre et je n'y réussis pas. On est dans l'impondérable." Il ne parvient jamais à fendre le pull jacquard. Son "roman-vérité" sonne faux.
Une écriture remplie de maniérismes inutiles
D. P.: Sauf que la phrase suivante éclaire ta citation: "J'écrirai souvent, des années après, sur l'impondérable, sur l'imprévisible qui détermine les événements." D'accord pour reconnaître des lourdeurs et des tics dans l'écriture. Mais j'ai passé outre car l'intensité dramatique du récit l'emporte, surtout dans le dernier tiers. Et puis Philippe Besson témoigne d'une grande lucidité à propos de son amour pour Thomas.
J. D.: Son écriture est remplie de maniérismes inutiles. Le roman commence par une phrase de deux pages où Besson fait sa Christine Angot, avec un flot de mots haletés ("ma mère, elle disait: arrête avec tes mensonges, elle disait mensonges à la place d'histoires, ça m'est resté", etc.). Ensuite, tout au long du livre, c'est une avalanche d'italiques sur des mots souvent insignifiants ("Ce garçon, à l'évidence, n'est pas pour moi", "ne pas pouvoir se montrer ensemble", etc.), comme si Besson lui-même ne faisait pas assez confiance à son style pour transmettre l'émotion ou le sens.
D. P.: Effectivement, Besson abuse des italiques, mais, finalement, je trouve cette béquille plutôt touchante. Il sait quand même alterner les registres, faire des phrases courtes qui vont à l'essentiel; décrire simplement, voire crûment, les scènes de sexe. Sa rencontre avec le fils de Thomas est bouleversante, la réalité dépasse à ce point la fiction que le romancier lui concède le mot de la fin.
J. D.: C'est vrai, la construction est habile et il y a un "suspense". Mais il est un peu amoindri par une ultime coquetterie: à un moment, Besson s'interroge sur le fait que toute cette histoire pourrait, après tout, n'être qu'une pure invention de sa part. Oui, car, le saviez-vous, de la littérature au mensonge, la frontière est si ténue, bla-bla-bla... Était-ce utile dans un roman du dévoilement?
Par Delphine Peras et Jérôme Dupui via lexpress.fr
"ARRÊTE AVEC TES MENSONGES", par Philippe Besson. Julliard, 195p., 18€.
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