La campagne pour l’élection présidentielle est bien lancée. Après les primaires de la droite et du centre en novembre 2016, celles de la gauche en janvier, les affaires s’invitent dans le débat. Comme le notait Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, « [au temps de l’élection] la nation entière tombe dans un état fébrile ». Le temps démocratique est rythmé par les élections qui ouvrent toujours une ère de promesses pour se terminer en fin de mandat par l’humeur maussade provoquée par la déception.
Croire qu’un seul être humain peut avoir réponse à tout
Croire qu’un seul être humain peut avoir réponse à tout
Je m’étonne encore que les Français continuent de croire en ces promesses tout comme je m’étonne que les Français s’étonnent encore d’être déçus à chaque fois par celui qu’ils ont porté au pouvoir. Il ne peut pourtant en être autrement. Le système politique français est fondé sur l’illusion qu’un seul homme peut tout régler et doit tout savoir, car c’est bien ce que l’on attend d’un président de la République.
Les débats dans les médias sont à cet égard édifiants. Les candidats passent une sorte de grand oral à chaque fois, les examinateurs – les journalistes – vérifiant que les impétrants maîtrisent tous les sujets complexes d’un pays tout entier, voire du monde. Sommes-nous devenus à ce point aveugles pour croire qu’un seul être humain peut avoir réponse à tout (à la limite, pourquoi pas ?) et en plus avoir la solution à tous les défis qui se posent pour un pays de 65 millions d’habitants (là, ça se complique) ?
Quelle est cette illusion qui consiste à s’en remettre à une seule personne ? Quelle est cette illusion qui consiste à croire que tous les précédents présidents étaient des incompétents avérés qui n’ont pas réglé les problèmes et que le prochain sera le sauveur ? Quand j’entends certains candidats qui promettent le plein-emploi, je souris. Supposons que le plein-emploi soit encore possible, ne croyez-vous pas que si la solution existait, elle n’aurait pas déjà été appliquée ? Quand je parcours les centaines de propositions des programmes des candidats, je sais que les Français savent déjà que l’essentiel ne sera pas appliqué, alors à quoi bon ?
Seul compte la conquête du pouvoir
Tous ces programmes nous sont présentés comme les seuls à pouvoir « redresser la France » (à supposer que la France soit à redresser…), et que les programmes des autres candidats conduiront inévitablement à la catastrophe pour la France. Quelle prétention ! Quelle prétention de la part de candidats dont l’énergie est fondée sur leur ego surdimensionné. Pour des prétendants à un poste où ils devront se consacrer aux autres, je ne suis pas convaincu que l’ego soit la plus pertinente des qualités, j’y vois même une incompatibilité. L’humilité et la compassion paraissent plus indiquées, non ?
La réalité est que le système politique repose sur un seul objectif : la conquête du pouvoir. Les idées politiques et les programmes sont un moyen pour atteindre cet objectif. La logique aurait voulu que ce soit l’inverse. Que l’objectif soit la mise en œuvre d’un programme et le moyen d’y parvenir, la conquête du pouvoir. Il suffit pour s’en convaincre d’analyser la stratégie de François Fillon face aux révélations de la presse : comme il n’y a pas de plan B crédible, je demeure le candidat.Autrement dit, seul compte la conquête du pouvoir, le reste devient secondaire. On peut donc se poser la question : à quoi servent les élections ? C’est à cette question que répond David Van Reybrouck dans son brillant essai Contre les élections. L’auteur, également à la signature d’un ouvrage remarquable sur le Congo, Le Congo, une histoire, rappelle que la démocratie a près de 3 000 ans, mais que cela ne fait que deux siècles que le monde s’y essaie exclusivement à travers les élections.
Constatant la défiance des citoyens vis-à-vis de la classe politique et des élections, il s’interroge sur la pertinence des élections et si l’introduction du tirage au sort tel que pratiqué dans la démocratie athénienne ne permettrait pas de rétablir l’adhésion des peuples à la démocratie.
Exigence de transparence
David Van Reybrouck détaille des systèmes sophistiqués de tirage au sort pour éviter que des inaptes n’accèdent au pouvoir – ce que l’élection n’empêche pas ! – et pour faire en sorte que les différents pouvoirs s’équilibrent. Il décrit également des expériences récentes au Canada et en Islande. Montesquieu n’écrivait-il pas dans L’Esprit des lois que « le suffrage par sort [tirage au sort] est de la nature de la démocratie, le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie » ?
Quoi qu’il en soit, la démocratie ne se consolidera que si nous, les citoyens, sortons des illusions actuelles et en particulier de la croyance en l’homme providentiel, omnipotent et omniscient. Les institutions auraient intérêt à promouvoir la collégialité là où le pouvoir personnel domine. Les processus délibératifs également pourraient gagner en qualité. Jean-Jacques Rousseau, dans Le Contrat social, constatait que « plus le concert règne dans les assemblées, c’est-à-dire plus les avis approchent de l’unanimité, plus aussi la volonté générale est dominante, mais les longs débats, les dissensions, le tumulte annoncent l’ascendant des intérêts particuliers et le déclin de l’Etat ».
Quand on entend parler de discipline de vote à l’Assemblée nationale ou au Sénat, on comprend en effet que les logiques partisanes l’ont emporté sur l’intérêt général. David Van Reybrouck rapporte des expériences intéressantes pour améliorer la qualité des processus délibératifs. Il y a aussi une exigence accrue de transparence. Certains ténors de la vie politique dénoncent la tyrannie de la transparence. La transparence est pourtant la contrepartie légitime de la confiance que les électeurs placent dans les femmes et les hommes politiques à qui ils délèguent le pouvoir de décider.
Les citoyens sont en droit d’exiger cette contrepartie. Si elle apparaît tyrannique à certains, qu’ils changent de métier !
N’oublions cependant jamais que les dérives de la classe politique que chacun aime dénoncer sont celles que nous rendons possibles. La classe politique n’est qu’une émanation de ce que nous sommes. Après l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, les ventes du livre 1984 de George Orwell ont explosé. Ce dernier avait une intuition remarquable pour se projeter dans le futur. Il était aussi d’une lucidité implacable : « Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime, il est complice. »
En Afrique, l’Occident promeut la démocratie en faisant de l’élection l’alpha et l’oméga de ce système politique au point de parfois tomber dans le fétichisme électoral. Et si l’élection ne correspondait pas aux enjeux africains d’aujourd’hui et de demain ? L’essai de David Van Reybrouck ouvre un nouveau champ de réflexion pour les démocrates africains qui pourraient saisir cette occasion pour créer un modèle politique africain innovant et donner une leçon à ceux qui leur en donnent depuis tant d’années.
Par Laurent Bigot/lemonde.fr
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