Dans un drame à fleur de peau, Moonlight retrace le passage à l’âge adulte d’un jeune gay des ghettos africains-américains de Miami.
Ce sont des images très banales, et qu’on ne voit pourtant quasiment jamais au cinéma. Celles d’un homme noir qui pleure. Qui plus est une montagne de muscles, un dealer avec tous les accessoires : colliers massifs, montre XXXL, dents en or… du genre qui vous fait changer de trottoir. Ce personnage contrasté, redoutable et fragile, c’est Chiron, le héros de Moonlight, du réalisateur africain-américain Barry Jenkins.
Le long-métrage, découpé en trois actes (enfance, adolescence, âge adulte), raconte son parcours pour le moins mouvementé : pas de père, une mère dépendante au crack, un dealer pour mentor, harcelé dès le plus jeune âge, molesté plus tard parce que l’on suppose qu’il préfère les garçons.
Avec ce long-métrage, je montre quelque chose de presque inédit et pourtant totalement normal : un homme de couleur qui peut aussi être fragile.Trop de pathos pour être touchant ou crédible ? Pourtant, le film, constamment sur le fil, amène tout avec finesse. Et l’histoire est vraie. Ce début de vie truffé d’épines, c’est celui qu’a connu le scénariste Tarell Alvin Mc Craney, qui a grandi dans la cité violente de Liberty City, à Miami. Sa mère accro est morte du sida. Et il a très tôt été rangé par la communauté noire de son quartier dans la catégorie « homos », comme si ses voisins, ses amis décidaient avant lui de son orientation sexuelle.
Un colosse fragile
Centré sur un héros gay, le film ne fait pourtant pas de la sexualité son sujet principal. Il cherche plutôt à comprendre pourquoi il est si difficile d’exprimer ses sentiments quand on est un homme noir. Face à sa mère, à son père de substitution, à l’homme qu’il aime, Chiron se mure le plus souvent dans le silence, incapable de confier ce qu’il ressent. « Les jeunes hommes noirs apparaissent constamment forts, hypermasculins, que ce soit dans les films, à la télé, dans les clips vidéo, constate le réalisateur Barry Jenkins.
Je me suis dit, c’est impossible que ce type bodybuildé réussisse à exprimer la sensibilité du personnage. Et en fait c’est moi qui étais dans le cliché !On n’a pas le droit d’exprimer une autre forme de masculinité, d’être vulnérable ou sensible. Sur mon compte Twitter, il y a eu tout un débat à propos des larmes du personnage principal : peut-on pleurer, voire juste avouer que l’on pleure ? J’avais conscience qu’avec ce long-métrage je montrais quelque chose qui était presque inédit et pourtant totalement normal, un homme de couleur qui puisse aussi être fragile, qui puisse aussi, par exemple, cuisiner… et même cuisiner pour un autre homme ! »
Allier les contraire
Alternant les images de baraques délabrées du ghetto et celles des plages de Miami sous la lumière bleue de la lune, le rap hard-core et les envolées lyriques de violon, les séquences violentes et celles emplies de sérénité, Moonlight donne à voir un homme dans toute sa complexité, tremblant sous sa carapace de muscles, luttant pour assumer ce qu’il est. Dans le casting, impeccable et faisant appel à des acteurs exclusivement africains-américains, on remarque notamment Trevante Rhodes, qui incarne Chiron adulte. « Il est arrivé pour les auditions en courant, torse nu, taillé comme un dieu grec, se rappelle Barry Jenkins. Je me suis dit, c’est impossible que ce type bodybuildé réussisse à exprimer la sensibilité du personnage. Et en fait c’est moi qui étais dans le cliché ! Quand il a commencé à jouer, il a fait surgir le petit garçon qui était en lui. »
Moonlight, deuxième film de ce réalisateur de 37 ans, ayant bénéficié d’un tout petit budget, a déjà reçu une pluie de quelque 97 récompenses, dont le Golden Globe du meilleur film dramatique. De quoi donner des ailes à Barry Jenkins, qui a pour prochain projet d’adapter un roman de James Baldwin, If Beale Street Could Talk, une histoire d’amour à Harlem, toujours avec une équipe constituée uniquement d’acteurs noirs.
Par Léo Pajon
0 comments :
Enregistrer un commentaire
التعليق على هذا المقال