La décision de l’Opep de réduire la production d’or noir pour faire remonter les cours apporte une bouffée d’oxygène en Algérie. Il était temps : les comptes du pays sont dans le rouge, le coût de la vie augmente et le mécontentement gronde.
La mine réjouie des responsables algériens, le 28 septembre, peu avant les douze coups de minuit, en disait long sur leur soulagement. Ce soir-là, entre les murs du somptueux Centre international des conférences du Club des pins, qui aura coûté presque 1 milliard de dollars (près de 900 millions d’euros), les quatorze membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) se sont enfin entendus sur le principe d’une baisse de la production.
Objectif : enrayer la chute des cours de l’or noir, passés en l’espace de deux ans de 110 dollars le baril à quelque 25 dollars, avant de plafonner autour de 50 dollars. « Cet accord est un bol d’air, explique l’un des négociateurs algériens. Mais ce n’est pas encore gagné. Le baril peut remonter comme il peut repartir à la baisse. »
Une économie toutefois inquiétante
Signe patent, cependant, du regain d’optimisme, la loi de finances 2017, adoptée le 4 octobre en conseil des ministres, a été élaborée sur la base d’un baril à 50 dollars, contre 37 dollars pour l’exercice précédent. S’il flatte la fibre patriotique, que d’aucuns désignent désormais sous le vocable de « wantotrisme » (du slogan « One, two, three, viva l’Algérie »), l’accord d’Alger ne garantit pas forcément des jours meilleurs.
Car, à l’instar de l’Arabie saoudite, du Nigeria ou du Venezuela, le pays continuera à subir de plein fouet ce que le président Bouteflika a qualifié de « chute sévère des prix des hydrocarbures ». Une chute aux conséquences extrêmement graves puisque le pétrole et le gaz assurent 95 % des recettes en devises de l’Algérie. Deux ans après le début du choc pétrolier, les caisses de l’État ont ainsi fondu comme neige au soleil. Un rapide survol de ses finances laisse peu de doutes sur l’acuité de la crise.
Les revenus pétroliers ont été divisés par deux. À 62 milliards de dollars en 2014, ils ne devraient pas dépasser 25 milliards à la fin de 2016. Le Fonds de régulation des recettes (FRR), qui sert à éponger le déficit, est presque totalement asséché. Les réserves de change ? De 194 milliards de dollars début 2014, elles sont tombées aujourd’hui à 110 milliards. Certains économistes les situent même au-dessous de 40 milliards à l’horizon 2018.
Une perspective inquiétante quand on sait que ce bas de laine, engrangé à l’époque où l’argent du pétrole coulait à flots, constitue une assurance sur l’avenir pour les générations futures. La saignée est telle que le gouvernement n’exclut plus désormais la possibilité de recourir à l’endettement extérieur pour financer des projets.
Austérité
Réduction des importations, qui ont explosé au cours de la dernière décennie, rabotage du budget d’équipement, gel des grands projets… Les autorités ont entrepris une cure d’amaigrissement à tous les niveaux. « L’ère de la bahbouha[embellie financière des années 2000], durant laquelle l’État dépensait sans compter, est bel et bien révolue, admet un expert financier. L’heure est au serrage de ceinture. »
Avec un impact sévère sur le pouvoir d’achat. Comme en 2016, la loi de finances 2017 promet des débats houleux à l’Assemblée au vu des sacrifices auxquels les Algériens sont appelés à consentir.
Nous avons trois à quatre années pour réussir la transition d’une économie de rente vers une économie productive.
Carburant, tabac, café, thé, produits de luxe importés, TVA (de 17 % à 19 %) : le gouvernement, qui refuse de parler d’austérité, a prévu toute une série d’augmentations pour renflouer les caisses. « Par un effet domino, tout a augmenté dans le sillage de la hausse des prix des carburants et de l’électricité, maugrée Saïd, enseignant dans un lycée d’Alger. Transports, produits manufacturés, fruits et légumes, services, voitures, taxes sur le logement et les locaux commerciaux, les factures sont de plus en plus salées. Comment ne pas redouter de sombres lendemains ? ».
Des appréhensions que partagent les relais du pouvoir et l’opposition. Réputé proche des cercles de décision, le Forum des chefs d’entreprise (FCE, patronat) affiche son agacement devant la lenteur des réformes engagées depuis le début du choc pétrolier. S’il soutient le gouvernement, Ali Haddad, président du FCE, n’en estime pas moins que celui-ci ne fait pas preuve d’assez de courage et d’audace face à une « crise multidimensionnelle ».
« Nous avons trois à quatre années pour réussir la transition d’une économie de rente vers une économie productive », estime cet homme d’affaires qui dirige le premier groupe privé de BTP.
En off, certains patrons redoutent même que la politique de désinvestissement (20 milliards de dollars en 2017, contre 29 milliards en 2016) ainsi que le gel des projets ne provoquent une catastrophe sociale. Faute de commandes publiques soutenues, des entreprises risquent de fermer. Avec, à la clé, des licenciements massifs. Farouchement opposée au patronat, qu’elle accuse d’être à la solde des « oligarques », l’opposante Louisa Hanoune, patronne du Parti des travailleurs (PT), n’a pas de mots assez durs pour fustiger cette politique d’austérité.
« Les mesures contenues dans la loi de finances 2017 pourraient engendrer des régressions qui menacent le tissu social d’effilochage, déplore-t‑elle. Tous les ingrédients d’une insurrection sociale sont réunis. »
Gérer le risque de tensions sociales
Un rapport confidentiel de la Gendarmerie nationale, rendu public malencontreusement en juillet dernier, accrédite l’idée que le pays est assis sur une poudrière. Cette note interne juge que la situation « reste préoccupante et demeure marquée par la récurrence de contestations à caractère social ». Couplé aux effets de la crise et à l’incertitude autour de la succession du président Bouteflika, le mécontentement social s’est accru au fil des mois.
Mais le traumatisme causé par les violences qui ont endeuillé le pays lors de la décennie noire rend le scénario d’une déflagration générale difficilement envisageable. Du moins à court terme. « Le pouvoir a encore les moyens de financer la paix sociale, explique un député de l’opposition. Les Algériens ne descendront dans la rue que lorsqu’ils auront faim. Tant que le pouvoir leur permet de s’en sortir, ils ne lèveront pas le petit doigt pour le contester. »
Confirmation d’un ministre qui a fait récemment les frais d’un remaniement ministériel : « La rue ne bougera pas. Nous avions augmenté les prix des carburants et de l’électricité en 2016 sans que ces hausses ne provoquent des manifestations. Mais il n’en est pas moins impératif de communiquer, de faire preuve de pédagogie et d’expliquer aux Algériens pourquoi tout le monde doit faire des sacrifices. »
La crise ? Quelle crise ? Pour le gouvernement d’Abdelmalek Sellal, la situation est sous contrôle. « Nous sommes face à une crise budgétaire, pas économique, corrige un membre du cabinet du Premier ministre. Il y a une dynamique qui se met en place. Des unités industrielles et des projets structurants porteurs de croissance et d’emplois sont réalisés ou en voie de l’être. Des logements sont distribués par dizaines de milliers. Le tableau n’est pas aussi noir. Il faut donner du temps aux réformes engagées depuis deux ans. »
Réformer le modèle économique
Mais le pays a-t‑il les moyens, et surtout le temps, de sortir de sa dépendance aux hydrocarbures à l’heure où les recettes pétrolières s’amenuisent ? « Les milliards dépensés au cours des quinze dernières années dans les infrastructures ou pour donner du pouvoir d’achat aux Algériens n’ont pas généré de ressources pour en finir avec cette rente, analyse un ancien ministre. Le pétrole alimente le budget et ce dernier permet au pays de tourner. Il faut casser ce cercle vicieux. Notre crise est d’abord celle d’un modèle économique. Nous avons la capacité de mobiliser des milliards mais nous n’avons pas su mettre en place une économie diversifiée. Le temps joue contre nous. »
Selon Abdellatif Benachenhou, ancien ministre des Finances et ami du président Bouteflika, la crise n’est pas une fatalité, à condition que les responsables aient le courage de mener de vraies réformes.
« Les gouvernants ont du mal à définir et à conduire une stratégie de riposte à la crise, et une lassitude fataliste s’est installée au sein de la société », écrit-il dans un ouvrage récent intitulé L’Algérie, sortir de la crise. Solutions préconisées par Benachenhou : réformer la fiscalité pétrolière pour attirer les investisseurs étrangers, casser l’informel, alléger les charges sociales, réduire progressivement les subventions, lutter contre l’inflation, renforcer le marché des capitaux, diversifier les structures financières et mettre en concurrence l’investissement étranger.
Autant de mesures permettant de passer à un modèle économique moins dépendant du pétrole, et qui n’ont pas été mises en place, ou pas suffisamment, à l’époque de la bahbouha. Mais plus le temps passe, plus la marge de manœuvre des décideurs devient étroite. Dans dix ans, la population algérienne sera d’environ 50 millions d’habitants, contre 40 millions actuellement.
Même si le baril remontait vers les seuils stratosphériques qu’il a connus, les richesses du sous-sol ne sont pas éternelles. Pis, dans une quinzaine d’années, le pétrole et le gaz algériens suffiront à peine à couvrir les besoins de la consommation locale. Un scénario apocalyptique que les autorités feraient bien de garder à l’esprit, malgré la bouffée d’oxygène apportée par l’accord d’Alger.
Comment réduire les subventions
Quelle est la meilleure recette pour diminuer les transferts sociaux destinés à subventionner les produits de base, le logement ou les soins de santé ? Un ancien ministre préconise, sous le sceau de l’anonymat, un dispositif identique à celui mis en place pour la délivrance des visas pour l’Europe : un fichier national des personnes nécessiteuses. Il serait régulièrement mis à jour pour traquer les fraudeurs, inclure les nouveaux demandeurs et exclure ceux qui ne seraient plus dans le besoin, et sa gestion serait externalisée au profit d’un consortium de sociétés privées travaillant sous le contrôle du gouvernement.
Les personnes au revenu inférieur à 20 000 dinars (DA, 162 euros) mensuels toucheraient une aide étatique d’une valeur de 15 000 DA via leur compte postal. En retour, l’État s’engagerait à libérer graduellement les prix des produits de base. Le paquet de thé reviendrait alors à 60 DA au lieu de 25 DA, la baguette à 25 DA contre 10 DA et le litre d’essence à 50 DA au lieu de 35 DA.
« Il n’est pas normal qu’un milliardaire et un chômeur paient aujourd’hui la baguette au même prix », souligne notre interlocuteur. « Avec un tel dispositif, on peut récupérer annuellement près de 10 milliards de dollars. En cinq ans, on économiserait 50 milliards de dollars. » Sur le papier, le projet est révolutionnaire. Sauf que les autorités… ne veulent pas en entendre parler.
Par Farid Alilat
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