ENTRETIEN. Pour cet expert en questions bancaires, il est nécessaire que les populations ressentent dans leur quotidien les bénéfices de la croissance.
La rentrée des économies africaines est pour le moins morose. Plombées par la chute du prix des matières premières et par le ralentissement de la demande chinoise, les économies africaines ont vu leur croissance ralentir sérieusement. Une première depuis 20 ans. Du coup, la question aujourd'hui posée est de savoir comment les pays d'Afrique subsaharienne pourraient retrouver une croissance soutenue atteignant les 6, voire 7 %. Paul Derreumaux*, économiste et banquier fondateur de la banque Bank of Africa (BOA), détaille pour Le Point Afrique des pistes de sortie de crise.
Le Point Afrique : Selon vous, quels sont les défis qui se posent aux grandes économies du continent face aux faibles prévisions de croissance ?
Paul Derreumaux : Le ralentissement de la croissance en Afrique résulte à mon avis de la concomitance de deux facteurs négatifs : d'un côté, une conjoncture médiocre des nations les plus avancées et de plusieurs grands pays émergents ; de l'autre, l'affaiblissement des relais propres aux pays africains, pouvant soutenir un développement endogène. En Afrique du Sud comme au Nigeria par exemple, la chute des cours des matières premières a fortement pénalisé les exportations tandis que les crises locales et les insuffisances des transformations structurelles ont empêché l'éclosion d'autres moteurs de croissance. Face à cela, les défis, même s'ils varient d'un pays à l'autre, présentent quelques constantes. C'est d'abord la création d'un environnement favorable à la croissance économique sous tous ses aspects : amélioration des infrastructures de communication, télécommunications et énergie ; promotion et soutien du secteur privé, premier producteur de richesses ; élévation de la qualité de la gouvernance, en vue d'attirer les investisseurs. C'est aussi la diversification maximale de l'appareil économique dans le cadre d'une vision cohérente du pays à long terme. C'est encore la création maximale d'emplois, qui impose elle-même de gigantesques efforts de formation et d'apprentissage adaptés aux besoins. C'est enfin, l'adoption de politiques qui visent à répartir au mieux les fruits d'une croissance amoindrie.
Quel impact sur le revenu par habitant ?
Le ralentissement de la croissance globale entraîne celui de la progression du revenu moyen par habitant. Avec une hausse du PIB de 1,5 % prévue pour 2016 et la poussée démographique actuelle, ce revenu devrait baisser ou rester stable cette année dans beaucoup de pays. De plus, cette croissance est aussi inégalitaire, en l'absence d'une intégration du plus grand nombre dans les secteurs porteurs d'accroissement des revenus et de politiques efficaces de redistribution des richesses. En cette période de crise et de limitation des ressources des États, la lutte contre ces inégalités pourrait être encore moins prioritaire et il en résulterait un recul immédiat des indicateurs de lutte contre la pauvreté. Avec le ralentissement de certains secteurs d'activité, on pourrait aussi assister à un coup d'arrêt de la montée en puissance des classes moyennes.
Qui a finalement bénéficié de la croissance africaine de ces dix dernières années ?
Depuis les années 2000, la croissance de l'Afrique subsaharienne s'est surtout appuyée sur quatre éléments : meilleure gestion des finances publiques après la période dramatique des plans d'ajustement structurel (PAS) ; fort accroissement des exportations dans une période faste des cours des matières premières ; développement marqué de certains services comme les banques et les télécommunications ; réalisation d'importants investissements dans les infrastructures. Ce dernier aspect était indispensable pour « mettre à niveau » le continent et accroître les chances de développement ultérieur. Même si ces infrastructures, d'un côté, et ces services modernes bancaires et de téléphonie, de l'autre, ne « se mangent pas », ils ont généré de nombreux emplois directs et indirects, distribué d'importants revenus et déjà amélioré la vie de beaucoup d'Africains. Mais ces progrès connaissent des limites si deux nouvelles avancées ne se réalisent pas. La première est que la croissance soit désormais davantage basée sur des activités productives générant d'importantes valeurs ajoutées locales : cela implique spécialement une révolution de la productivité agricole et une augmentation de la part des industries de transformation. La seconde, qui conditionne la première, est qu'un leadership de qualité se généralise pour définir des lignes stratégiques à long terme, concevoir et réaliser des programmes d'investissement pour les atteindre et veiller à ce que la croissance obtenue profite à tous. Faute de cela, les taux de croissance nationaux pourraient continuer à s'effriter, les nouvelles infrastructures en place être inutilisées et les sacrifices des années 1990 recommencer.
Comment sortir de la crise pétrolière ? Par où faut-il commencer pour l'Angola, le Nigeria et l'Afrique du Sud, par exemple ?
Ces trois pays ne souffrent pas des mêmes maux, mais attendent des remèdes voisins.
L'Afrique du Sud n'est pas un grand État pétrolier, mais un producteur minier de premier plan. Elle a souffert, mais certaines de ses exportations, comme l'or, ont connu de meilleurs prix en 2016. De plus, elle a de loin l'appareil économique le plus puissant et diversifié et est le seul État subsaharien rangé dans les grands émergents. En revanche, elle subit de plein fouet, et depuis quelques années, une grave crise énergétique qui pénalise ses industries, un chômage élevé et un manque de main-d'œuvre qualifiée, de vives tensions sociales et un régime politique à bout de souffle. Les réformes nécessaires pour faire repartir une croissance qui s'étiole sont donc toujours en attente.
L'Angola est au contraire quasi totalement dépendant du pétrole, considéré comme une rente presque patrimoniale par le clan au pouvoir depuis 37 ans. Celui-ci a laissé le pays s'enfoncer dans la récession économique sans réaction appropriée.
Le Nigeria a une situation intermédiaire : il est le premier producteur pétrolier d'Afrique subsaharienne, mais sa puissance s'appuie aussi sur sa population, une diversification économique bien engagée et le dynamisme de ses entreprises. Il connaît pourtant d'importantes difficultés sécuritaires, une corruption endémique et une chute de sa monnaie qui réduit ses réserves en devises et freine des importations prioritaires. Comme on le voit, ces trois pays n'ont pas profité de situations antérieures privilégiées pour préparer des futurs plus moroses. Ils ont été en quelque sorte des « pays cigales ». Ils ont maintenant fortement besoin d'autorités fortes, crédibles et visionnaires, capables de mener rapidement à bien les profondes transformations structurelles nécessaires. Celles-ci devront viser une meilleure gouvernance, des diversifications sectorielles, une meilleure gestion des finances publiques, la création maximale d'emplois et une croissance plus inclusive.
Quels sont les zones, les pays partis pour mieux s'en sortir en 2017 ?
L'UEMOA est actuellement la région subsaharienne avec le meilleur taux de croissance. La zone est en particulier entraînée par la Côte d'Ivoire qui a repris son rôle ancien de locomotive de l'Union. La stratégie des autorités y est claire et pertinente. Des investissements publics massifs ont d'abord amélioré des infrastructures essentielles et se poursuivent. Des investissements privés prennent maintenant le relais dans deux principales directions : l'industrie agroalimentaire en vue d'une transformation sur place des productions agricoles auparavant exportées ; le commerce et les services tournés vers la satisfaction de classes moyennes en expansion. Quelques autres pays, comme le Maroc, l'Éthiopie ou le Rwanda, paraissent avoir aussi des stratégies capables de transformer leur économie et leur société. Leur défi sera double : réussir à compléter les premières mesures favorables pour toucher peu à peu tous les aspects de la vie économique et sociale ; faire durer ces tendances positives sur une période suffisamment longue pour que les changements soient irréversibles. Il y aura sans doute peu d'élus dans cette course d'obstacles.
PROPOS RECUEILLIS PAR VIVIANE FORSON / lepoint.fr
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