Le principal actionnaire de la Samir, unique raffineur du royaume, s'est lancé dans une partie de poker menteur avec les autorités pour se tirer d'une grave crise financière. Mais elle tourne à son désavantage…
C’est un Conseil de gouvernement assez spécial qui s’est tenu le 19 août à Rabat. Le principal sujet de discussion ? Une entreprise privée : la Samir, détenue à hauteur de 67 % par le groupe Corral Petroleum Holding du milliardaire saoudien Mohammed Al Amoudi.
Endetté jusqu’au cou et faisant face à une grave crise financière, ce raffineur avait décidé « de manière unilatérale », deux semaines auparavant, d’arrêter sa production, privant le marché de sa principale source d’approvisionnement en produits raffinés. Un arrêt qui a semé la zizanie dans les arcanes du pouvoir, la Samir étant le seul raffineur du pays, et détenant à ce titre plus de 65 % de parts de marché. « Il n’y a pas de craintes à avoir, les distributeurs disposent d’un stock de sécurité et sont habilités à importer depuis les marchés internationaux », tente de rassurer Mustapha El Khalfi, porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication.
Réunion de crise
Reste que, la veille, le cheikh Al Amoudi, principal actionnaire et président du conseil d’administration de la Samir, était convié à Rabat pour une réunion de crise avec le ministre de l’Énergie, Abdelkader Amara, celui de l’Économie et des Finances, Mohamed Boussaid, et celui de l’Intérieur, Mohamed Hassad. Il devait à cette occasion proposer un plan de sauvetage de la raffinerie, que l’État lui avait cédée en 1997.
« Il n’en était rien. On n’a rien de concret pour l’instant, juste des promesses », confie une source gouvernementale. Face au milliardaire, venu sans solution, les trois ministres ont adopté un ton ferme. « Leur position a été claire : les défaillances de la Samir doivent être couvertes par son actionnaire et aucun cadeau ne lui sera concédé », confie notre source.
Pour le Saoudien, la partie de poker menteur est finie. Grâce à une belle carte – le poids stratégique de la Samir -, il pensait pouvoir arracher à l’État un apurement de ses arriérés auprès de la douane, qui s’élèvent à 13 milliards de dirhams (près de 1,2 milliard d’euros), et un rééchelonnement de sa dette bancaire et obligataire, qui dépasse les 20 milliards de dirhams, dont une grande partie contractée auprès de la Banque centrale populaire. Son timing semblait également bien choisi : l’arrêt de la production a coïncidé avec la visite privée du roi Salman au Maroc. Une manière de donner une dimension politique à ce dossier.
Opération de chantage ?
Mais ce petit jeu n’a été apprécié ni par le royaume chérifien ni par l’Arabie saoudite. « Nous avons eu l’impression qu’il s’agissait d’une opération de chantage. Le gouvernement marocain ne peut pas accepter ça », explique notre source. Les choses se sont donc retournées contre Al Amoudi, qui se fait discret et ne s’exprime que par communiqués. Les autorités n’ont pas hésité, via l’Administration des douanes et impôts indirects, à recourir à la procédure de l’avis à tiers détenteur (ATD), par laquelle l’État, en dernier recours, gèle les comptes bancaires de la société et y puise jusqu’à remboursement de son dû.
Al Amoudi est maintenant appelé à renflouer les caisses de la Samir. « Le raffineur doit augmenter son capital d’au moins 15 milliards de dirhams pour pouvoir sortir de ce goulot et relancer la machine. C’est un montant faramineux, certes, mais qui est dans les cordes du groupe Corral », explique un banquier d’affaires qui connaît bien ce dossier.
Une somme loin de ce qu’Al Amoudi a promis jusque-là aux marchés et aux autorités marocaines. Dans un communiqué publié le 10 août, l’actionnaire de référence avait en effet annoncé son intention de n’injecter que 1,5 milliard de dirhams d’ici à son assemblée générale extraordinaire du 12 octobre.
Cette décision était basée sur une recommandation d’Attijari Finances Corp. mais vite devenue obsolète après l’annonce, quelques jours plus tard, de la saisie des comptes de la raffinerie par la douane. « Chaque jour apporte son lot de nouveautés. On est certains que d’autres créanciers vont se manifester dans les prochains jours », indique un membre du Groupement des pétroliers du Maroc, qui pense que « Corral ne tiendra pas ses promesses, et qu’il ne fait que gagner du temps ».
Rebooster les affaires
Depuis le rachat de la Samir, Al Amoudi n’a pas injecté un kopeck dans l’entreprise. Tous les investissements ont été financés par endettement bancaire ou via les marchés financiers. Une situation qui était tenable tant que le raffineur dégageait encore du cash-flow. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
En 2014, pénalisé par la dévalorisation de ses actifs en stock, provoquée par la chute subite des prix du baril, le raffineur avait terminé l’exercice avec un déficit historique de 3,4 milliards de dirhams sans proposer le moindre plan de sortie de crise au marché casablancais, où le titre est d’ailleurs suspendu depuis le 6 août. Al Amoudi va-t-il donc casser sa tirelire pour recapitaliser la firme ou jeter l’éponge ?
Beaucoup préféreraient que Corral passe le relais à un autre investisseur qui souhaite vraiment rebooster les affaires du raffineur et mettre en place une stratégie à long terme. « Si transaction il y a, elle se fera certainement avec un dirham symbolique vu l’état désastreux du haut du bilan de la Samir. Ce sera donc soit une nationalisation soit une reprise par un ou plusieurs investisseurs privés, qui ont les moyens de porter ce lourd fardeau », explique notre banquier d’affaires. Dossier à suivre.
Un très riche réseau
Milliardaire saoudien né en Éthiopie, Cheikh Mohammed Al Amoudi, 69 ans, trône à la tête du groupe Corral Petroleum Holding AB. Un holding financier basé à Stockholm qui possède des participations majoritaires dans trois raffineries de pétrole et plus de 1 000 stations-service au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Suède. Considéré comme le premier employeur d’Éthiopie, Al Amoudi, homme discret, jouit d’une relation de proximité avec les cercles du pouvoir du Moyen-Orient. Des liens qui ont joué en sa faveur lors de la privatisation de la Samir par l’État marocain, en 1997, alors « que son offre n’était pas la mieux indiquée », comme l’avaient alors confié plusieurs ministres à la presse. Selon le magazine Forbes, il est le deuxième plus riche Saoudien, avec une fortune de plus de 11 milliards de dollars (9,9 milliards d’euros.
C’est un Conseil de gouvernement assez spécial qui s’est tenu le 19 août à Rabat. Le principal sujet de discussion ? Une entreprise privée : la Samir, détenue à hauteur de 67 % par le groupe Corral Petroleum Holding du milliardaire saoudien Mohammed Al Amoudi.
Endetté jusqu’au cou et faisant face à une grave crise financière, ce raffineur avait décidé « de manière unilatérale », deux semaines auparavant, d’arrêter sa production, privant le marché de sa principale source d’approvisionnement en produits raffinés. Un arrêt qui a semé la zizanie dans les arcanes du pouvoir, la Samir étant le seul raffineur du pays, et détenant à ce titre plus de 65 % de parts de marché. « Il n’y a pas de craintes à avoir, les distributeurs disposent d’un stock de sécurité et sont habilités à importer depuis les marchés internationaux », tente de rassurer Mustapha El Khalfi, porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication.
Réunion de crise
Reste que, la veille, le cheikh Al Amoudi, principal actionnaire et président du conseil d’administration de la Samir, était convié à Rabat pour une réunion de crise avec le ministre de l’Énergie, Abdelkader Amara, celui de l’Économie et des Finances, Mohamed Boussaid, et celui de l’Intérieur, Mohamed Hassad. Il devait à cette occasion proposer un plan de sauvetage de la raffinerie, que l’État lui avait cédée en 1997.
« Il n’en était rien. On n’a rien de concret pour l’instant, juste des promesses », confie une source gouvernementale. Face au milliardaire, venu sans solution, les trois ministres ont adopté un ton ferme. « Leur position a été claire : les défaillances de la Samir doivent être couvertes par son actionnaire et aucun cadeau ne lui sera concédé », confie notre source.
Pour le Saoudien, la partie de poker menteur est finie. Grâce à une belle carte – le poids stratégique de la Samir -, il pensait pouvoir arracher à l’État un apurement de ses arriérés auprès de la douane, qui s’élèvent à 13 milliards de dirhams (près de 1,2 milliard d’euros), et un rééchelonnement de sa dette bancaire et obligataire, qui dépasse les 20 milliards de dirhams, dont une grande partie contractée auprès de la Banque centrale populaire. Son timing semblait également bien choisi : l’arrêt de la production a coïncidé avec la visite privée du roi Salman au Maroc. Une manière de donner une dimension politique à ce dossier.
Opération de chantage ?
Mais ce petit jeu n’a été apprécié ni par le royaume chérifien ni par l’Arabie saoudite. « Nous avons eu l’impression qu’il s’agissait d’une opération de chantage. Le gouvernement marocain ne peut pas accepter ça », explique notre source. Les choses se sont donc retournées contre Al Amoudi, qui se fait discret et ne s’exprime que par communiqués. Les autorités n’ont pas hésité, via l’Administration des douanes et impôts indirects, à recourir à la procédure de l’avis à tiers détenteur (ATD), par laquelle l’État, en dernier recours, gèle les comptes bancaires de la société et y puise jusqu’à remboursement de son dû.
Al Amoudi est maintenant appelé à renflouer les caisses de la Samir. « Le raffineur doit augmenter son capital d’au moins 15 milliards de dirhams pour pouvoir sortir de ce goulot et relancer la machine. C’est un montant faramineux, certes, mais qui est dans les cordes du groupe Corral », explique un banquier d’affaires qui connaît bien ce dossier.
Une somme loin de ce qu’Al Amoudi a promis jusque-là aux marchés et aux autorités marocaines. Dans un communiqué publié le 10 août, l’actionnaire de référence avait en effet annoncé son intention de n’injecter que 1,5 milliard de dirhams d’ici à son assemblée générale extraordinaire du 12 octobre.
Cette décision était basée sur une recommandation d’Attijari Finances Corp. mais vite devenue obsolète après l’annonce, quelques jours plus tard, de la saisie des comptes de la raffinerie par la douane. « Chaque jour apporte son lot de nouveautés. On est certains que d’autres créanciers vont se manifester dans les prochains jours », indique un membre du Groupement des pétroliers du Maroc, qui pense que « Corral ne tiendra pas ses promesses, et qu’il ne fait que gagner du temps ».
Rebooster les affaires
Depuis le rachat de la Samir, Al Amoudi n’a pas injecté un kopeck dans l’entreprise. Tous les investissements ont été financés par endettement bancaire ou via les marchés financiers. Une situation qui était tenable tant que le raffineur dégageait encore du cash-flow. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
En 2014, pénalisé par la dévalorisation de ses actifs en stock, provoquée par la chute subite des prix du baril, le raffineur avait terminé l’exercice avec un déficit historique de 3,4 milliards de dirhams sans proposer le moindre plan de sortie de crise au marché casablancais, où le titre est d’ailleurs suspendu depuis le 6 août. Al Amoudi va-t-il donc casser sa tirelire pour recapitaliser la firme ou jeter l’éponge ?
Beaucoup préféreraient que Corral passe le relais à un autre investisseur qui souhaite vraiment rebooster les affaires du raffineur et mettre en place une stratégie à long terme. « Si transaction il y a, elle se fera certainement avec un dirham symbolique vu l’état désastreux du haut du bilan de la Samir. Ce sera donc soit une nationalisation soit une reprise par un ou plusieurs investisseurs privés, qui ont les moyens de porter ce lourd fardeau », explique notre banquier d’affaires. Dossier à suivre.
Un très riche réseau
Milliardaire saoudien né en Éthiopie, Cheikh Mohammed Al Amoudi, 69 ans, trône à la tête du groupe Corral Petroleum Holding AB. Un holding financier basé à Stockholm qui possède des participations majoritaires dans trois raffineries de pétrole et plus de 1 000 stations-service au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Suède. Considéré comme le premier employeur d’Éthiopie, Al Amoudi, homme discret, jouit d’une relation de proximité avec les cercles du pouvoir du Moyen-Orient. Des liens qui ont joué en sa faveur lors de la privatisation de la Samir par l’État marocain, en 1997, alors « que son offre n’était pas la mieux indiquée », comme l’avaient alors confié plusieurs ministres à la presse. Selon le magazine Forbes, il est le deuxième plus riche Saoudien, avec une fortune de plus de 11 milliards de dollars (9,9 milliards d’euros.
Par Mehdi Michbal
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