Depuis une vingtaine d’années, un «féminisme», non pas au sens occidental, mais musulman, commence à se frayer un chemin. Asma Lamrabet en est le chef de file.
La littérature est abondante sur le rôle et l’influence politique et sociale de la femme en Islam. Des dizaines de livres ont brossé des portraits de femmes musulmanes ayant marqué l’histoire, parmi elles Aïcha, épouse du Prophète, qui est présentée comme la figure de proue de ce rôle éminent joué par les femmes depuis l’aube de l’Islam. Khadidja aussi, première épouse du Prophète, a eu la part belle dans cette littérature. Mais une interprétation «féministe» et égalitaire hommes-femmes des textes religieux islamiques, faite par des femmes, elle n’avait pas droit de cité. Ce n’est qu’à partir des années 1990 qu’elle commence à à s’imposer tant bien que mal pour semer le doute sur le bien-fondé de la lecture «traditionnelle» et patriarcale faite par les hommes durant des siècles. Le Maroc a aussi sa part de ces «féministes», non pas au sens laïc et occidental du terme, mais qui partent des textes religieux, Coran, hadiths et Sunna, pour déconstruire un discours religieux discriminatoire à l’égard des femmes.
Hakima Lebbar, écrivaine, galeriste et psychanalyste, a eu l’idée de réunir dans un même ouvrage intitulé Femmes et religions*, les points de vue d’une soixantaine de femmes. Chacune selon son domaine de compétences y dresse un «état des lieux» sur deux sujets majeurs : la discrimination de la femme dans les religions, et la cohabitation des religions dans la cité. Il faut rappeler que la Constitution de 2011, dans son article 19, consacre une égalité totale entre les hommes et les femmes.
Hakima Lebbar, la coordinatrice de cet ouvrage, outre l’apport de cette Constitution, n’a pas été insensible à quelques événements qui ont marqué l’actualité politique et sociale du Maroc entre 2011 et 2014 pour entreprendre ce projet : entre autres le suicide d’Amina Filali, la condamnation par les tribunaux marocains de plusieurs criminels pédophiles, et l’abrogation du deuxième paragraphe de l’article 475 du code pénal marocain qui garantissait l’impunité au violeur qui épouse sa victime.
La «qiwama» n’est pas l’autorité du masculin sur le féminin
D’emblée, la première contributrice à ce recueil, Asma Lamrabet, qui dirige le Centre d’études et de recherches féminines en Islam affilié à la Rabita du Maroc, donne la couleur. Elle confirme l’existence depuis quelque temps de courants de «féminisme musulman», avec comme point commun une revendication de l’égalité et de la justice à partir du référentiel musulman. L’essentiel du travail de ces courants, écrit-elle, «consiste donc à déconstruire l’interprétation patriarcale en revenant aux sources du message spirituel du Coran et en utilisant un argumentaire élaboré à travers une réappropriation du savoir religieux». Déjà, dans d’autres écrits, dont essentiellement son ouvrage titré «Femmes et hommes dans le Coran : quelle égalité ?» (Editions al-Bouraq, 2012, Paris France), Asma Lamrabet s’élève contre l’assertion selon laquelle l’Islam est la religion qui opprime les femmes, et entrave inévitablement leur émancipation. C’est «un stéréotype récurrent», rétorque-t-elle. Et d’inviter dans ce livre à un exercice de réflexion sur «l’éthique relationnelle entre hommes et femmes, telle qu’elle est conçue par les sources scripturaires de l’Islam. Il se veut une tentative de ‘‘déchiffrage’’ et de ‘‘discernement’’ de certains concepts coraniques en faveur de l’égalité entre hommes et femmes».
«L’autorité» des hommes sur les femmes, ce qu’on appelle la qiwama, sur laquelle se base le socle de cette discrimination exercée à l’égard des femmes, avec son corollaire «attâa» (obéissance), une notion vraiment coranique ? Inexact. La «qiwama» ne veut pas dire, pour Asma Lamrabet, l’autorité du masculin sur le féminin. D’une trentaine de définitions de la racine du mot «qiwama», une seule a été retenue, celle de «l’autorité». Dans le Coran le mot «qiwama» n’existe qu’une seule fois, alors que la «coresponsabilité des époux» (wilayah), par exemple, apparaît fréquemment. C’est d’ailleurs cette «coresponsabilité des époux» qui a été retenue par le nouveau code de la famille de 2004 au détriment du mot «attâa».
Dans sa contribution à l’ouvrage dirigé par Hakima Lebbar, la médecin biologiste (métier que Asma Lamrabet exerce à l’hôpital Avicenne de Rabat) conclut que ces femmes révoltées contre la lecture patriarcale des textes religieux «ont compris que ce n’est pas le message spirituel de l’Islam qui est en cause dans leur réclusion millénaire, mais bien toutes les interprétations humaines qui se sont accumulées dans les compilations religieuses mais aussi dans les mentalités défavorables à la présence féminine dans l’espace public». Partant de cette «contextualisation» du texte religieux de l’islam, cette relecture féminine entraîne plusieurs conséquences. Elle cite entre autres le droit de refuser la polygamie, de réfuter l’idée de l’obligation religieuse du voile dit islamique, et du droit de «revoir la question de l’héritage à la lumière des évolutions sociétales où les femmes participent pleinement à la prise en charge économique de la famille». Approche «révolutionnaire» si l’on peut dire, qui dérange beaucoup d’hommes, et déconstruit des «certitudes» ancrées dans les mentalités masculines et l’histoire de l’Islam.
L’approche de Mme Lamrabet n’est pas à vrai dire tout à fait pionnière, d’autres auteurs musulmans réformistes avant elle ont, à travers une relecture du texte religieux, pris parti en faveur de la femme musulmane. Ils considèrent la marginalisation de la femme et sa relégation à un second rang non conformes à l’Islam. Meriem Yafout, chercheuse associée à l’Institut des études politiques et internationales à l’Université de Lausanne, qui a participé à cet ouvrage collectif, cite parmi eux Mohamed Abdou, Jamal-eddine Al Afhgani ou encore Mohamed El Ghazali. Au Maroc, à ne pas oublier la sociologue Fatima Mernissi qui, dès les années 1980, a eu des positions «féministes» franches, estimant que le Prophète Mohammed a accordé une place capitale à la femme dans la vie publique, «et que par conséquent, il y a eu une manipulation des textes sacrés par le pouvoir politique». Son livre, sorti en 1987, intitulé «Le harem politique, le Prophète et les femmes» (Editions Albin Michel) était, à son époque, un pavé dans la mare (il a même été interdit au Maroc pendant plusieurs années) puisqu’il présente une relecture «innovante» des textes religieux, qui plus est émanant d’une femme. Fatima Mernissi a, dans ce livre, contesté les hadiths sur la femme rapportés par Al Bukhari, les considérant comme «non authentiques». Notamment celui qui dit «jamais ne prospérera un peuple qui se laisse commander par une femme» (Ma Aflaha qawmoun wallaw amrahom imra’a). Afin de déconstruire ce hadith (Mme Yafout dans sa contribution reprend ce passage), Fatima Mernissi montre, arguments à l’appui, que ce hadith, attribué au Prophète, est sorti vingt-cinq ans après sa mort, pour prendre parti du khalife Ali Ibn Abi Taleb contre Aïcha, la femme du Prophète.
Une instrumentalisation religieuse sur la conscience collective
Une instrumentalisation autrement dit d’un texte politiquement incorrect pour mettre à l’écart les femmes du pouvoir politique en Islam. Ce hadith, d’ailleurs, est repris jusqu’à nos jours par les gardiens du temple du patriarcat, dont les femmes elles-mêmes. On le brandit à tout bout de champ pour asseoir la domination de l’homme sur la femme. Cela en dit long, commente Mme Lamrabet, dans un entretien accordé au magazine Femmes du Maroc (mars 2015), «sur l’impact tacite de l’instrumentalisation religieuse sur la conscience collective» jusqu’à aujourd’hui. Et de conclure que la croyance n’est pas toujours salutaire. Elle peut même être «à l’origine d’une vulnérabilité psychologique». Elle ne sera salutaire et ne «devient force que si l’on vit la spiritualité comme un message libérateur».
Ceci est valable dans les trois religions monothéistes, et c’est ce message que la soixantaine de femmes essayent de transmettre dans ce livre de trois cents pages, par leurs écrits, poèmes, peintures et proverbes.
La littérature est abondante sur le rôle et l’influence politique et sociale de la femme en Islam. Des dizaines de livres ont brossé des portraits de femmes musulmanes ayant marqué l’histoire, parmi elles Aïcha, épouse du Prophète, qui est présentée comme la figure de proue de ce rôle éminent joué par les femmes depuis l’aube de l’Islam. Khadidja aussi, première épouse du Prophète, a eu la part belle dans cette littérature. Mais une interprétation «féministe» et égalitaire hommes-femmes des textes religieux islamiques, faite par des femmes, elle n’avait pas droit de cité. Ce n’est qu’à partir des années 1990 qu’elle commence à à s’imposer tant bien que mal pour semer le doute sur le bien-fondé de la lecture «traditionnelle» et patriarcale faite par les hommes durant des siècles. Le Maroc a aussi sa part de ces «féministes», non pas au sens laïc et occidental du terme, mais qui partent des textes religieux, Coran, hadiths et Sunna, pour déconstruire un discours religieux discriminatoire à l’égard des femmes.
Hakima Lebbar, écrivaine, galeriste et psychanalyste, a eu l’idée de réunir dans un même ouvrage intitulé Femmes et religions*, les points de vue d’une soixantaine de femmes. Chacune selon son domaine de compétences y dresse un «état des lieux» sur deux sujets majeurs : la discrimination de la femme dans les religions, et la cohabitation des religions dans la cité. Il faut rappeler que la Constitution de 2011, dans son article 19, consacre une égalité totale entre les hommes et les femmes.
Hakima Lebbar, la coordinatrice de cet ouvrage, outre l’apport de cette Constitution, n’a pas été insensible à quelques événements qui ont marqué l’actualité politique et sociale du Maroc entre 2011 et 2014 pour entreprendre ce projet : entre autres le suicide d’Amina Filali, la condamnation par les tribunaux marocains de plusieurs criminels pédophiles, et l’abrogation du deuxième paragraphe de l’article 475 du code pénal marocain qui garantissait l’impunité au violeur qui épouse sa victime.
La «qiwama» n’est pas l’autorité du masculin sur le féminin
D’emblée, la première contributrice à ce recueil, Asma Lamrabet, qui dirige le Centre d’études et de recherches féminines en Islam affilié à la Rabita du Maroc, donne la couleur. Elle confirme l’existence depuis quelque temps de courants de «féminisme musulman», avec comme point commun une revendication de l’égalité et de la justice à partir du référentiel musulman. L’essentiel du travail de ces courants, écrit-elle, «consiste donc à déconstruire l’interprétation patriarcale en revenant aux sources du message spirituel du Coran et en utilisant un argumentaire élaboré à travers une réappropriation du savoir religieux». Déjà, dans d’autres écrits, dont essentiellement son ouvrage titré «Femmes et hommes dans le Coran : quelle égalité ?» (Editions al-Bouraq, 2012, Paris France), Asma Lamrabet s’élève contre l’assertion selon laquelle l’Islam est la religion qui opprime les femmes, et entrave inévitablement leur émancipation. C’est «un stéréotype récurrent», rétorque-t-elle. Et d’inviter dans ce livre à un exercice de réflexion sur «l’éthique relationnelle entre hommes et femmes, telle qu’elle est conçue par les sources scripturaires de l’Islam. Il se veut une tentative de ‘‘déchiffrage’’ et de ‘‘discernement’’ de certains concepts coraniques en faveur de l’égalité entre hommes et femmes».
«L’autorité» des hommes sur les femmes, ce qu’on appelle la qiwama, sur laquelle se base le socle de cette discrimination exercée à l’égard des femmes, avec son corollaire «attâa» (obéissance), une notion vraiment coranique ? Inexact. La «qiwama» ne veut pas dire, pour Asma Lamrabet, l’autorité du masculin sur le féminin. D’une trentaine de définitions de la racine du mot «qiwama», une seule a été retenue, celle de «l’autorité». Dans le Coran le mot «qiwama» n’existe qu’une seule fois, alors que la «coresponsabilité des époux» (wilayah), par exemple, apparaît fréquemment. C’est d’ailleurs cette «coresponsabilité des époux» qui a été retenue par le nouveau code de la famille de 2004 au détriment du mot «attâa».
Dans sa contribution à l’ouvrage dirigé par Hakima Lebbar, la médecin biologiste (métier que Asma Lamrabet exerce à l’hôpital Avicenne de Rabat) conclut que ces femmes révoltées contre la lecture patriarcale des textes religieux «ont compris que ce n’est pas le message spirituel de l’Islam qui est en cause dans leur réclusion millénaire, mais bien toutes les interprétations humaines qui se sont accumulées dans les compilations religieuses mais aussi dans les mentalités défavorables à la présence féminine dans l’espace public». Partant de cette «contextualisation» du texte religieux de l’islam, cette relecture féminine entraîne plusieurs conséquences. Elle cite entre autres le droit de refuser la polygamie, de réfuter l’idée de l’obligation religieuse du voile dit islamique, et du droit de «revoir la question de l’héritage à la lumière des évolutions sociétales où les femmes participent pleinement à la prise en charge économique de la famille». Approche «révolutionnaire» si l’on peut dire, qui dérange beaucoup d’hommes, et déconstruit des «certitudes» ancrées dans les mentalités masculines et l’histoire de l’Islam.
L’approche de Mme Lamrabet n’est pas à vrai dire tout à fait pionnière, d’autres auteurs musulmans réformistes avant elle ont, à travers une relecture du texte religieux, pris parti en faveur de la femme musulmane. Ils considèrent la marginalisation de la femme et sa relégation à un second rang non conformes à l’Islam. Meriem Yafout, chercheuse associée à l’Institut des études politiques et internationales à l’Université de Lausanne, qui a participé à cet ouvrage collectif, cite parmi eux Mohamed Abdou, Jamal-eddine Al Afhgani ou encore Mohamed El Ghazali. Au Maroc, à ne pas oublier la sociologue Fatima Mernissi qui, dès les années 1980, a eu des positions «féministes» franches, estimant que le Prophète Mohammed a accordé une place capitale à la femme dans la vie publique, «et que par conséquent, il y a eu une manipulation des textes sacrés par le pouvoir politique». Son livre, sorti en 1987, intitulé «Le harem politique, le Prophète et les femmes» (Editions Albin Michel) était, à son époque, un pavé dans la mare (il a même été interdit au Maroc pendant plusieurs années) puisqu’il présente une relecture «innovante» des textes religieux, qui plus est émanant d’une femme. Fatima Mernissi a, dans ce livre, contesté les hadiths sur la femme rapportés par Al Bukhari, les considérant comme «non authentiques». Notamment celui qui dit «jamais ne prospérera un peuple qui se laisse commander par une femme» (Ma Aflaha qawmoun wallaw amrahom imra’a). Afin de déconstruire ce hadith (Mme Yafout dans sa contribution reprend ce passage), Fatima Mernissi montre, arguments à l’appui, que ce hadith, attribué au Prophète, est sorti vingt-cinq ans après sa mort, pour prendre parti du khalife Ali Ibn Abi Taleb contre Aïcha, la femme du Prophète.
Une instrumentalisation religieuse sur la conscience collective
Une instrumentalisation autrement dit d’un texte politiquement incorrect pour mettre à l’écart les femmes du pouvoir politique en Islam. Ce hadith, d’ailleurs, est repris jusqu’à nos jours par les gardiens du temple du patriarcat, dont les femmes elles-mêmes. On le brandit à tout bout de champ pour asseoir la domination de l’homme sur la femme. Cela en dit long, commente Mme Lamrabet, dans un entretien accordé au magazine Femmes du Maroc (mars 2015), «sur l’impact tacite de l’instrumentalisation religieuse sur la conscience collective» jusqu’à aujourd’hui. Et de conclure que la croyance n’est pas toujours salutaire. Elle peut même être «à l’origine d’une vulnérabilité psychologique». Elle ne sera salutaire et ne «devient force que si l’on vit la spiritualité comme un message libérateur».
Ceci est valable dans les trois religions monothéistes, et c’est ce message que la soixantaine de femmes essayent de transmettre dans ce livre de trois cents pages, par leurs écrits, poèmes, peintures et proverbes.
JAOUAD MDIDECH
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