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L’Europe, la France et ses musulmans

Entre la montée inexorable du Front national en France et la multiplication des manifestations islamophobes en Allemagne, la présence musulmane est devenue une source de tension politique et sociale majeure dans une Europe plongée dans une crise dont la dimension économique ne saurait masquer la profondeur existentielle.
La Méditerranée unit et sépare l’Europe et le monde arabo-musulman. A travers une histoire commune, les deux mondes continuent d’entretenir des rapports fluctuants et contradictoires, oscillant entre attraction et répulsion. La connaissance et la représentation de cette figure de l’altérité s’inscrivent dans une histoire complexe pétrie de logiques contradictoires : échange et conflictualité, volonté de savoir/de comprendre et volonté de puissance/de domination. Entre échanges culturels et conflits armés, ces relations ambivalentes ont connu trois séquences historiques majeures qui ont laissé leur empreinte (positive et négative) dans la conscience européenne et arabo-musulmane : l’expansion arabo-musulmane en Europe au début du VIIIe siècle, les vagues successives de Croisades chrétiennes à partir de la fin du XIe siècle et l’impérialisme puis le colonialisme européens surtout avec la déliquescence de l’Empire ottoman (XIXe siècle). L’immigration économique des populations maghrébines tout-au-long du XXe siècle a connu plusieurs phases en Europe, avec des spécificités propres aux relations entretenues avec les anciennes puissances coloniales. Aujourd’hui, la problématique de l’immigration est dépassée aujourd’hui par celle- plus aigue- de l’ « intégration » ou de l’inclusion de citoyens « franco-arabes », dont l’identité complexe contribue à interroger l’« européanité » : que signifie être Européen au XXIe siècle ? Peut-on être à la fois Français ou Allemand, Européen et musulman ?
Au terme de la Guerre froide, la montée de l’intégrisme islamique a coïncidé en Occident avec la quête d’un nouvel ennemi stratégique et symbolique. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York, la figure de l’Arabo-musulman incarne définitivement cet ennemi symbolique déjà identifié comme tel par le politologue américain Samuel Huntington, dans sa théorie du « choc des civilisations ». Aux Etats-Unis comme en Europe, les amalgames font florès (arabe = musulman = intégriste = terroriste) et la parole/pensée xénophobe s’est banalisée. Les partis d’extrême-droite ont systématisé leur discours islamophobe et enchaînent les succès électoraux en France, aux Pays-Bas, en Autriche, en Grèce, mais aussi en Suède. Si les agressions physiques demeurent rares, il faut rappeler le cas du Norvégien Anders Breivik, qui a tué 87 personnes en juillet 2011, en étant animé notamment par une haine pour les musulmans, par le rejet du multiculturalisme. Plus récemment, en Allemagne, le groupe baptisé « Européens patriotes contre l’islamisation du pays » (PEGIDA, selon l’abréviation allemande), commet des démonstrations de force à travers des manifestations régulières- les « Manifestations du lundi »- organisées dans tout le pays (Düsseldorf, Würzburg, Rostock, Bochum, Munich, etc.) sur le modèle de celles qui ont déstabilisé le régime communiste de l’ex-RDA avant de provoquer la chute du Mur de Berlin… Récemment, ce mouvement a réussi à rassembler 10 000 personnes à Dresde, la capitale de la Saxe, un Land (Etat régional) de l’ex-Allemagne de l’Est en proie à des difficultés économiques et sociales…
En France, le monde intellectuel et médiatique est bousculé par le succès du Suicide français, un Essai signé par le journaliste-polémiste Eric Zemmour. Outre les thèses essentialistes et culturalistes défendues dans son ouvrage (les Arabes et les Français ne pourraient coexister ensemble…)  Zemmour a donné une interview au journal italien Corriere della Sera, dans laquelle il juge que l’hypothèse de la déportation des cinq millions de musulmans français, bien que « irréaliste », peut se comparer avec « les cinq ou six millions d’Allemands qui ont dû quitter l’Europe centrale après la guerre » ou avec l’expulsion d’ « un million de pieds-noirs » d’Afrique du Nord dans les années 60: « L’histoire est surprenante. Qui aurait dit en 1940 que vingt ans après, un million de pieds-noirs allaient devoir quitter l’Algérie pour rentrer en France ? ». Cette position est l’expression d’une solution fantasmée : la déportation des Musulmans (Français ou non) hors de France. Si son interview au Corriere della Sera a brisé un tabou, elle a aussi eu le mérite de dévoiler les postures des uns et des autres : l’hypocrisie de ceux qui développent une critique rhétorique et idéologique de l’Islam pour mieux viser les musulmans eux-mêmes ; l’hypocrisie de ceux qui estiment qu’une ligne rouge a été franchie, alors que Zemmour n’est pas à son premier fait d’arme et qu’il a déjà été condamné par la justice pénale pour « incitation à la discrimination raciale » ; l’hypocrisie de ceux ( politiques, mais aussi les médias en général et ses employeurs en particulier, dont le journal Le Figaro) qui en appellent à la liberté d’expression, en estimant implicitement que l’hypothèse d’une déportation des musulmans et ses thèses racialistes relèvent du débat d’idées…
Les saillies médiatiques contre l’Islam ou les musulmans se suivent et se ressemblent en France et ailleurs. Comme si c’était le prix à payer pour les crimes commis au nom de leur religion par des irresponsables, certes minoritaires, mais nuisibles. Leurs agissements nourrissent un climat de peur propice aux délires paranoïaques. C’est là le signe d’une victoire symbolique et cruelle des fondamentalistes sur leurs ennemis…
Par Béligh Nabli

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