À écouter les professionnels, en Tunisie, l'effervescence cinématographique ne serait pas encore synonyme de qualité, malgré l'envie pressante de réagir et de plus grandes facilités de tournage.
En matière de quantité, la révolution a eu un véritable impact sur le cinéma tunisien. Pas moins de 120 films ont ainsi été présentés dans les différentes sections de la 25e édition des Journées cinématographiques de Carthage, début décembre. "Après le 14 janvier 2011, il y a eu une libération de la parole, et filmer dans la rue sans avoir les flics sur le dos est devenu possible, affirme le critique Khémaïs Khayati.
L'envie de dire était très forte." L'apport des nouvelles technologies numériques et la miniaturisation ont aussi permis de tourner avec peu de moyens, en peu de temps. "Au final, les films peuvent être bons ou ratés, vulgaires ou sérieux, mais ils existent.
Après, il faut faire le tri." C'est là que le bât blesse : "Parmi les jeunes cinéastes, peu feront les affiches de demain, concède Khayati, hormis quelques valeurs sûres comme Kawthar Ben Hnia, Abdallah Yahya, Raja Amari, Nejib Belkadhi ou Jilani Saadi." Des noms qui avaient déjà émergé sous l'ancien régime, selon le cinéaste Ibrahim Letaief : "Ce sont des réalisateurs talentueux, avant d'être des réalisateurs de la révolution."
Le Printemps tunisien a profité au documentaire et au court-métrage
"S'il est vrai qu'on assiste à une inflation de films dans les deux pays où le Printemps a eu lieu, ce n'est pas forcément en raison du contexte révolutionnaire", poursuit Letaief. Le Printemps tunisien a surtout profité au genre documentaire et au court-métrage. "Les réalisateurs encouragés par le vent des révolutions ont suivi les événements sans toujours prendre du recul, affirme le cinéaste.
La parole libre ne fait pas forcément émerger de belles voix. Rien n'a changé, non plus, du côté de l'industrie. Cent vingt-huit salles à l'indépendance, une dizaine aujourd'hui. Moins de longs-métrages, moins de distributeurs, pas de cinémathèque. Si la décision a été prise de créer le Centre national du cinéma, que nous attendons depuis trente ans, cette structure reste une coquille vide. La Satpec (Société anonyme tunisienne de production et d'exploitation cinématographique) n'existe plus, et la Cité de la culture est un chantier à l'arrêt."
L'avis du réalisateur Mahmoud Ben Mahmoud est encore plus tranché. "Plutôt que la révolution, c'est la dictature qui a enfanté des talents, risque le cinéaste tunisien, qui vit en Belgique. La liberté ne rend service à personne en la matière. Elle est peut-être vitale pour un journaliste, elle ne l'est pas pour un cinéaste. L'Iran en est l'exemple. S'il devenait libre et démocratique demain, je ne suis pas sûr que son cinéma s'en porterait mieux."
En réalité, le vrai chantier reste la professionnalisation du secteur. "Les Marocains bénéficient de l'infrastructure, de l'argent et de la volonté politique. Le cinéma tunisien n'a pas l'équivalent d'un Noureddine Saïl, qui a pu faire émerger une petite élite", poursuit Ben Mahmoud, pour qui le cinéma tunisien aurait besoin d'une instance qui édicte des instructions claires, dispose de moyens substantiels et ne se contente pas de se gargariser en vain de "liberté d'expression". "Les Marocains traitent aussi de sujets tabous qui hantent leur société comme la pédophilie ou l'inceste. Si vous ne touchez pas au roi et à la religion (et encore !), vous pouvez vous exprimer librement", dit-il.
On essaie de rattraper la révolution
Letaief, qui appartient à la génération intermédiaire des 40-50 ans, se sent piégé par le contexte actuel : "Je me dis qu'il faut absolument parler de la révolution et témoigner pour l'Histoire. En même temps, cette idée m'inhibe. Je n'arrive pas à pondre un film. Je me répète qu'il s'agit du destin de ma Tunisie et de l'avenir de mes enfants, mais je ne peux m'empêcher de m'avouer que je perds mon temps." Lucide, il conclut : "En fait, on essaie de rattraper la révolution avec le risque évident de faire de mauvais films, voire de ne plus en faire du tout."
En matière de quantité, la révolution a eu un véritable impact sur le cinéma tunisien. Pas moins de 120 films ont ainsi été présentés dans les différentes sections de la 25e édition des Journées cinématographiques de Carthage, début décembre. "Après le 14 janvier 2011, il y a eu une libération de la parole, et filmer dans la rue sans avoir les flics sur le dos est devenu possible, affirme le critique Khémaïs Khayati.
L'envie de dire était très forte." L'apport des nouvelles technologies numériques et la miniaturisation ont aussi permis de tourner avec peu de moyens, en peu de temps. "Au final, les films peuvent être bons ou ratés, vulgaires ou sérieux, mais ils existent.
Après, il faut faire le tri." C'est là que le bât blesse : "Parmi les jeunes cinéastes, peu feront les affiches de demain, concède Khayati, hormis quelques valeurs sûres comme Kawthar Ben Hnia, Abdallah Yahya, Raja Amari, Nejib Belkadhi ou Jilani Saadi." Des noms qui avaient déjà émergé sous l'ancien régime, selon le cinéaste Ibrahim Letaief : "Ce sont des réalisateurs talentueux, avant d'être des réalisateurs de la révolution."
Le Printemps tunisien a profité au documentaire et au court-métrage
"S'il est vrai qu'on assiste à une inflation de films dans les deux pays où le Printemps a eu lieu, ce n'est pas forcément en raison du contexte révolutionnaire", poursuit Letaief. Le Printemps tunisien a surtout profité au genre documentaire et au court-métrage. "Les réalisateurs encouragés par le vent des révolutions ont suivi les événements sans toujours prendre du recul, affirme le cinéaste.
La parole libre ne fait pas forcément émerger de belles voix. Rien n'a changé, non plus, du côté de l'industrie. Cent vingt-huit salles à l'indépendance, une dizaine aujourd'hui. Moins de longs-métrages, moins de distributeurs, pas de cinémathèque. Si la décision a été prise de créer le Centre national du cinéma, que nous attendons depuis trente ans, cette structure reste une coquille vide. La Satpec (Société anonyme tunisienne de production et d'exploitation cinématographique) n'existe plus, et la Cité de la culture est un chantier à l'arrêt."
L'avis du réalisateur Mahmoud Ben Mahmoud est encore plus tranché. "Plutôt que la révolution, c'est la dictature qui a enfanté des talents, risque le cinéaste tunisien, qui vit en Belgique. La liberté ne rend service à personne en la matière. Elle est peut-être vitale pour un journaliste, elle ne l'est pas pour un cinéaste. L'Iran en est l'exemple. S'il devenait libre et démocratique demain, je ne suis pas sûr que son cinéma s'en porterait mieux."
En réalité, le vrai chantier reste la professionnalisation du secteur. "Les Marocains bénéficient de l'infrastructure, de l'argent et de la volonté politique. Le cinéma tunisien n'a pas l'équivalent d'un Noureddine Saïl, qui a pu faire émerger une petite élite", poursuit Ben Mahmoud, pour qui le cinéma tunisien aurait besoin d'une instance qui édicte des instructions claires, dispose de moyens substantiels et ne se contente pas de se gargariser en vain de "liberté d'expression". "Les Marocains traitent aussi de sujets tabous qui hantent leur société comme la pédophilie ou l'inceste. Si vous ne touchez pas au roi et à la religion (et encore !), vous pouvez vous exprimer librement", dit-il.
On essaie de rattraper la révolution
Letaief, qui appartient à la génération intermédiaire des 40-50 ans, se sent piégé par le contexte actuel : "Je me dis qu'il faut absolument parler de la révolution et témoigner pour l'Histoire. En même temps, cette idée m'inhibe. Je n'arrive pas à pondre un film. Je me répète qu'il s'agit du destin de ma Tunisie et de l'avenir de mes enfants, mais je ne peux m'empêcher de m'avouer que je perds mon temps." Lucide, il conclut : "En fait, on essaie de rattraper la révolution avec le risque évident de faire de mauvais films, voire de ne plus en faire du tout."
Par Faouzia Zouari
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