L'armée algérienne a-t-elle encore son mot à dire sur la vie politique et l'élection du président ? Le chef de l'État, Abdelaziz Bouteflika, a tout fait pour réduire son influence.
Depuis l'indépendance, l'armée algérienne a toujours pesé de tout son poids sur la désignation du chef de l'État. C'est elle qui avait choisi Ahmed Ben Bella en 1962, avant de le renverser trois ans plus tard au profit du colonel Houari Boumédiène. C'est encore elle qui avait tranché la question de la succession de ce dernier, en 1979, s'opposant à "l'intronisation" d'Abdelaziz Bouteflika pour placer à la tête de l'État son "officier le plus ancien au grade le plus élevé", le colonel Chadli Bendjedid.
Après s'être publiquement engagée à se retirer du champ politique, elle s'était de nouveau distinguée, en janvier 1992, en poussant Bendjedid à la démission, en interrompant le processus électoral alors que la victoire du Front islamique du salut (FIS, dissous dans la foulée) aux législatives semblait inéluctable, et en confiant les rênes du pays à Mohamed Boudiaf, l'un des artisans de la guerre de libération. Deux ans plus tard, les militaires, encore eux, avaient imposé le général Liamine Zéroual comme chef de l'État avant de le faire élire, en novembre 1995, président de la République.
C'est enfin l'armée qui a choisi Bouteflika en 1999, vingt ans après l'avoir écarté. Hélas pour elle, l'arrivée aux affaires de ce dernier a considérablement réduit l'influence des militaires sur la vie politique. À tel point qu'en 2004 le chef d'état-major Mohamed Lamari (décédé en 2012) et une partie de la hiérarchie militaire se sont ouvertement opposés à la réélection de "Boutef". Une situation inédite qui nuira finalement au général : avec la réélection de Bouteflika, l'armée perd, pour la première fois de son histoire, son rôle d'arbitre dans un scrutin présidentiel. Qu'en est-il depuis ?
"Coup d'État militaire sous couvert médical"
Ni l'omnipotence du président ni son habileté politique n'ont réussi à dépouiller complètement l'institution militaire algérienne de son statut de rouage essentiel du système qui gouverne l'Algérie depuis plus d'un demi-siècle. C'est pourquoi Bouteflika, tout chef suprême des forces armées et ministre de la Défense qu'il est, s'en méfie en permanence. Cette méfiance s'est accentuée après son accident vasculaire cérébral du 27 avril 2013. Redoutant "un coup d'État militaire sous couvert médical", il est alors persuadé qu'une partie du commandement de l'armée pourrait le déposer en appliquant l'article 88 de la Constitution, qui décrit les cas d'empêchement du président de la République, parmi lesquels la maladie.
Lors de sa convalescence au centre de repos des Invalides, à Paris, Bouteflika entame les premières manoeuvres pour réduire cette menace. Il marginalise son ministre délégué à la Défense, le général Abdelmalek Guenaïzia, coupable d'avoir manifesté peu d'enthousiasme à l'idée d'un quatrième mandat. Le 11 septembre 2013, le président va plus loin encore en effectuant un remaniement gouvernemental : Guenaïzia est remplacé par Gaïd Salah, qui cumule désormais les fonctions de vice-ministre de la Défense et de chef d'état-major. Le danger est écarté.
Dans la foulée, alors que rien ne l'imposait, Bouteflika procède à une profonde restructuration du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, services secrets). Par la suite, il actionne la commission des ressources humaines du ministère de la Défense pour accélérer la mise à la retraite d'une partie des officiers supérieurs, parmi lesquels des généraux manifestement opposés à un renouvellement de bail du locataire d'El-Mouradia.
L'affaire Saadani: Pour renforcer la pression sur l'armée, une campagne de presse contre le DRS, présenté comme une police politique, est lancée par des personnalités et des médias réputés proches de l'entourage présidentiel. Amar Saadani, secrétaire général du Front de libération nationale (FLN, parti dont Bouteflika est le président d'honneur), dénonce l'influence considérable des services secrets sur la vie politique et le fonctionnement institutionnel de l'Algérie.
Cette diversion permet d'évacuer les questions sensibles de l'état de santé du président et de sa capacité à gouverner. Les appels à la mise en oeuvre de l'article 88 de la Constitution ne sont plus un sujet d'actualité. Deux semaines après le début de cette campagne anti-DRS, Bouteflika sort de son mutisme pour défendre l'honneur de l'armée et celui des services ; il met ainsi casernes et mess d'officiers dans sa poche. Plus rien ne s'oppose désormais à un quatrième mandat. "L'armée n'est plus ce qu'elle était", confie, désabusé, un général à la retraite. Ce n'est peut-être pas une mauvaise nouvelle pour l'Algérie.
Depuis l'indépendance, l'armée algérienne a toujours pesé de tout son poids sur la désignation du chef de l'État. C'est elle qui avait choisi Ahmed Ben Bella en 1962, avant de le renverser trois ans plus tard au profit du colonel Houari Boumédiène. C'est encore elle qui avait tranché la question de la succession de ce dernier, en 1979, s'opposant à "l'intronisation" d'Abdelaziz Bouteflika pour placer à la tête de l'État son "officier le plus ancien au grade le plus élevé", le colonel Chadli Bendjedid.
Après s'être publiquement engagée à se retirer du champ politique, elle s'était de nouveau distinguée, en janvier 1992, en poussant Bendjedid à la démission, en interrompant le processus électoral alors que la victoire du Front islamique du salut (FIS, dissous dans la foulée) aux législatives semblait inéluctable, et en confiant les rênes du pays à Mohamed Boudiaf, l'un des artisans de la guerre de libération. Deux ans plus tard, les militaires, encore eux, avaient imposé le général Liamine Zéroual comme chef de l'État avant de le faire élire, en novembre 1995, président de la République.
C'est enfin l'armée qui a choisi Bouteflika en 1999, vingt ans après l'avoir écarté. Hélas pour elle, l'arrivée aux affaires de ce dernier a considérablement réduit l'influence des militaires sur la vie politique. À tel point qu'en 2004 le chef d'état-major Mohamed Lamari (décédé en 2012) et une partie de la hiérarchie militaire se sont ouvertement opposés à la réélection de "Boutef". Une situation inédite qui nuira finalement au général : avec la réélection de Bouteflika, l'armée perd, pour la première fois de son histoire, son rôle d'arbitre dans un scrutin présidentiel. Qu'en est-il depuis ?
"Coup d'État militaire sous couvert médical"
Ni l'omnipotence du président ni son habileté politique n'ont réussi à dépouiller complètement l'institution militaire algérienne de son statut de rouage essentiel du système qui gouverne l'Algérie depuis plus d'un demi-siècle. C'est pourquoi Bouteflika, tout chef suprême des forces armées et ministre de la Défense qu'il est, s'en méfie en permanence. Cette méfiance s'est accentuée après son accident vasculaire cérébral du 27 avril 2013. Redoutant "un coup d'État militaire sous couvert médical", il est alors persuadé qu'une partie du commandement de l'armée pourrait le déposer en appliquant l'article 88 de la Constitution, qui décrit les cas d'empêchement du président de la République, parmi lesquels la maladie.
Lors de sa convalescence au centre de repos des Invalides, à Paris, Bouteflika entame les premières manoeuvres pour réduire cette menace. Il marginalise son ministre délégué à la Défense, le général Abdelmalek Guenaïzia, coupable d'avoir manifesté peu d'enthousiasme à l'idée d'un quatrième mandat. Le 11 septembre 2013, le président va plus loin encore en effectuant un remaniement gouvernemental : Guenaïzia est remplacé par Gaïd Salah, qui cumule désormais les fonctions de vice-ministre de la Défense et de chef d'état-major. Le danger est écarté.
Dans la foulée, alors que rien ne l'imposait, Bouteflika procède à une profonde restructuration du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, services secrets). Par la suite, il actionne la commission des ressources humaines du ministère de la Défense pour accélérer la mise à la retraite d'une partie des officiers supérieurs, parmi lesquels des généraux manifestement opposés à un renouvellement de bail du locataire d'El-Mouradia.
L'affaire Saadani: Pour renforcer la pression sur l'armée, une campagne de presse contre le DRS, présenté comme une police politique, est lancée par des personnalités et des médias réputés proches de l'entourage présidentiel. Amar Saadani, secrétaire général du Front de libération nationale (FLN, parti dont Bouteflika est le président d'honneur), dénonce l'influence considérable des services secrets sur la vie politique et le fonctionnement institutionnel de l'Algérie.
Cette diversion permet d'évacuer les questions sensibles de l'état de santé du président et de sa capacité à gouverner. Les appels à la mise en oeuvre de l'article 88 de la Constitution ne sont plus un sujet d'actualité. Deux semaines après le début de cette campagne anti-DRS, Bouteflika sort de son mutisme pour défendre l'honneur de l'armée et celui des services ; il met ainsi casernes et mess d'officiers dans sa poche. Plus rien ne s'oppose désormais à un quatrième mandat. "L'armée n'est plus ce qu'elle était", confie, désabusé, un général à la retraite. Ce n'est peut-être pas une mauvaise nouvelle pour l'Algérie.
Par Cherif Ouazani
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